Par Jean Kovalevsky
L’objet de ce texte est de vous faire partager quelques réflexions sur la complémentarité des richesses spirituelles et intellectuelles que nous offrent la Religion d’une part, et la Science de l’autre, ce qui m’amènera évidemment à traiter des relations qui existent entre elles. Je voudrais pour cela dépasser les aspects, qui ont d’ailleurs évolué au cours des siècles, pour transcender aussi bien la vision réductrice d’une Science isolée que celle d’une Religion considérée séparément du monde matériel, ou alors comme située au-dessus de tout. Je souhaite présenter un point de vue que je désirerais voir contribuer à une certaine convergence des approches si différentes que la Science et la Religion suivent dans leur recherche d’une description d’une Réalité qui, à mon avis, est unique.Avant d’aborder ce problème, faisons une remarque préliminaire. N’ayant lu que fort peu d’ouvrages sur ce sujet et n’ayant aucune culture théologique ou philosophique sérieuse, je livre ici des réflexions toutes personnelles, étant conscient que certains aspects que je vais aborder ont été certainement traités ailleurs bien mieux que je ne saurais le faire. Je me baserai donc uniquement sur la connaissance que j’ai de la pensée et des méthodes scientifiques et des enseignements de la religion Chrétienne. Cela dit, il est incontestable que cette tentation d’unifier les diverses approches de la Vérité est très ancienne puisqu’on la trouve dans les religions qui ont toutes une certaine cosmologie. Je ne citerai, pour la Religion Chrétienne, à part les récits de la Bible, que le point de vue de Saint Thomas d’Aquin (le Thomisme est toujours très vivant parmi les Catholiques) ou encore celui de Teilhard de Chardin. AntinomiesSciences et Religions ! Voilà bien deux domaines qui paraissent disjoints et passablement contradictoires. Disons que ces disciplines sont antinomiques. Certes, elles ont en commun de décrire chacune une certaine Réalité (et aussi, peut-être qu’elles considèrent toutes deux l’œuvre de Dieu, même si les savants athées ne le savent pas). Mais pour y parvenir, le cheminement est distinct et il ne faut pas s’étonner que leurs conclusions soient d’ordre différent. La Science adopte une approche dite de « méthode scientifique », mélange en proportions diverses d’observations, d’expérimentations et de déductions théoriques. La Religion est basée sur une révélation, mais contient également certaines formes d’expériences et de faits historiques, alors que l’exégèse joue un rôle important dans l’interprétation des textes. On reviendra plus loin sur ces aspects qui sont peut-être moins opposés qu’on pourrait le penser de prime abord. Pourtant, la différence entre les approches et une dissimilitude des discours produisent soit une situation conflictuelle, soit l’annexion de l’une par l’autre, soit encore une ignorance dédaigneuse de l’une pour l’autre. Dans le premier cas, la Religion a la tentation d’inclure dans sa conception du Monde certains résultats scientifiques tout en rejetant ceux qui lui paraissent contraires. Ainsi, par exemple, si certains aimeraient considérer le Big Bang comme une preuve de la création du monde par Dieu, d’autres rejettent la théorie de l’évolution des espèces en maintenant à la lettre les récits de la Genèse biblique. Inversement, les matérialistes scientifiques, sans parler des scientistes, rejettent toute idée de Dieu et, en tous les cas, considèrent que la Science se suffit à elle-même. Au mieux, il y a une séparation totale comme s’il s’agissait de deux mondes différents. C’est d’ailleurs la position prise par de nombreux scientifiques croyants même à l’heure actuelle : pour eux, il n’y a pas plus de rapports entre la Science et la Religion qu’entre la musique et la construction d’un barrage hydroélectrique, l’existence des deux n’étant pas remise en cause. Certes, un ingénieur des travaux publics peut aussi être mélomane sans pour autant composer des chants à la gloire du barrage de Serre-Ponçon. Mais, pour ma part, je ne peux pas, en tant que scientifique croyant aux Réalités présentées par la Science et la Religion, les dissocier et ne pas ressentir qu’il s’agit là de deux manières d’approcher quelque chose qui est UN et pour lequel on devrait un jour trouver une description synthétique. En effet, le Monde, (et je donne à ce mot le sens de tout ce qui existe, en opposition au mot Univers qui se rapporte au monde matériel étudié par l’Astronomie et les autres sciences) est tel que chacune de ces deux Réalités s’applique. Il doit ainsi y avoir une description cohérente qui les inclut toutes les deux. J’ai dit que Science et Religion sont antinomiques. Cela ne veut pas dire contradictoires. En nous référent au Littré, nous lisons que l’on peut concilier une antinomie. En prenant le sens que Kant donne à ce mot (sans pour autant le suivre dans toute sa logique), l’antinomie est une contradiction naturelle qui résulte non d’un raisonnement vicieux, mais des lois même de la raison toutes les fois que, franchissant les limites de l’expérience, nous voulons savoir de l’Univers quelque chose d’absolu. Une antinomie peut être résolue par une synthèse ; c’est bien ce que nous voulons faire. Antinomies en Religion et en ScienceOr, si l’on analyse cette notion d’antinomie, on constate qu’elle est profondément ancrée dans la doctrine chrétienne. Lorsqu’une antinomie se présente, elle tente non de faire un choix, mais d’en faire la synthèse. Ainsi, par exemple, un, deux et trois sont des notions bien distinctes. Or, le dogme trinitaire nous enseigne que Dieu est Unité–Trinité (Trinité consubstantielle et indivisible). Ce serait une erreur du point de vue chrétien d’y voir une contradiction sous forme d’une opposition entre monothéisme et polythéisme. Il faut transcender cette contradiction apparente : c’est là le fondement de la théologie chrétienne. On pourrait décrire de la même façon l’antinomie de présenter le Christ comme étant à la fois Dieu et Homme. Cette façon de résoudre les antinomies par une synthèse est tout à fait chrétienne et peut s’étendre à d’autres couples opposés tels que vie et mort ou corps et âme. Ainsi la mort n’est pas un aboutissement marquant la disparition de la vie, mais un passage qui la préserve. Le Chrétien garde ce passage présent à l’esprit, mais en attendant, il doit vivre pleinement. L’acceptation de la richesse de la dualité antinomique n’est certes pas aisée. Elle l’est peut-être encore moins à l’heure actuelle où on a tendance à tout opposer et réduire à des choix par oui ou non. C’est le syndrome du tout ou rien : le binaire 0 ou 1 des ordinateurs ou encore la logique du tiers exclu. Par exemple, pour en revenir aux religions, le Judaïsme a refusé l’antinomie Christ-Dieu. Plus tard, l’Islam attaquera violemment le dogme trinitaire au nom du monothéisme. C’est la raison pour laquelle j’estime que la pensée chrétienne est mieux préparée que d’autres à refuser l’opposition illustrée par la conjonction « ou » et à examiner la synthèse amenée par la conjonction « et », notamment entre elle-même et la Science. Au demeurant, de façon générale, le refus de telles synthèses conduit à des positions tranchées qui sont le fait des intégrismes religieux et des divers sectarismes. La pensée scientifique, marquée par le rationalisme déductif, notamment sous l’influence des mathématiques, a également de grandes difficultés devant une situation antinomique. Elle y est cependant de plus en plus invitée par l’expérience. Ainsi, la lumière est à la fois, selon la manière dont on l’observe, onde et particule. On sait que l’acceptation de cette antinomie a donné, par sa résolution, naissance à la théorie des quanta, une des théories les mieux prouvées de la Science moderne. On peut citer d’autres antinomies scientifiques : le chat de Schrödinger est mort et vivant à la fois, l’Univers est à la fois fini et sans bornes, une particule pourrait être en deux endroits différents en même temps, le temps est une notion relative et s’écoule différemment selon la vitesse des horloges (jumeaux de Langevin), etc… En parallèle, la pensée chrétienne s’est dégagée d’un conformisme littéral vis-à-vis des Écritures. Les exégèses, basées sur une meilleure connaissance historique et culturelle du peuple Juif et de leurs voisins et établies sur des raisonnements déductifs que ne renieraient pas les scientifiques les plus puristes, ont progressivement dégagé l’essentiel de la foi des croyances et traditions annexes. Le croyant peut maintenant bien mieux présenter sa religion d’une manière plus pure et plus raisonnée qu’autrefois. L’Église, elle-même, loin de rejeter la pensée rationnelle, appelle à resserrer les rapports entre la Science et la foi et à ne pas négliger l’apport de la raison dans l’approfondissement de la foi. Ainsi, les modes de pensée chrétiens et scientifiques se rapprochent et ont plus de points communs aujourd’hui qu’il y a un siècle. Je pense qu’on peut, et même qu’on doit, aller plus loin. Les vérités enseignées par la Science et la Religion sont apparemment antinomiques, mais comme dans les exemples précédents, on devrait pouvoir les rassembler en une sorte de synthèse. On vient de voir que les pensées scientifiques et religieuses se sont rapprochées par le fait qu’elles sont capables d’établir une synthèse de certaines antinomies. Un autre point de rapprochement est que les façons dont chacune approfondit et annonce sa vérité présentent aussi de fortes analogies. C’est ce que je voudrais maintenant montrer en les présentant successivement. La méthode scientifiqueLa Science est basée sur l’observation et l’expérimentation. Elle dispose d’un certain nombre d’outils tels que les récepteurs, les appareils de laboratoire, les ordinateurs, etc…(je simplifie évidemment). À l’aide de ces outils, on fait des mesures, on décrit de phénomènes. Mais une mesure n’est pas seulement un nombre, et une observation n’est pas seulement la relation d’un fait. Une mesure doit être accompagnée des conditions dans lesquelles elle a été réalisée (par exemple, la température, le champ magnétique, l’éclairement, etc…). De même, les faits rapportés doivent l’être dans leur contexte (par exemple, le comportement d’un animal correspond-t-il à une situation de peur, d’agressivité, de faim, défend-t-il son territoire, etc…?). Ces détails sont fondamentaux car le stade suivant est la recherche des relations de cause à effet ou des corrélations avec certains paramètres en vue de généraliser le phénomène en éliminant les conditions secondaires. L’observation ou la mesure se répète-t-elle lorsqu’elle est effectuée dans des conditions voisines ? Sinon quels paramètres faut-il fixer pour en assurer la répétitivité ? De quels paramètres ce phénomène dépend-t-il et de quelle façon ? En effet, deux dangers guettent le scientifique : 1- les généralisations hâtives (tous les chats de la ville sont gris parce qu’on en a vu trois de suite qui étaient gris). 2- la mise en cause du hasard (tel volcan est-il devenu actif par hasard, ou y a-t-il des causes profondes à détecter ?). Pour éviter ces errements, on s’appuie sur des théories c’est-à-dire des énoncés qui décrivent un certain nombre de phénomènes et qu’on essaie d’utiliser pour en expliquer un nouveau. On les appelle parfois « lois de la nature » (par exemple, la loi de la gravitation universelle, les lois de l’électromagnétisme, celles de la génétique, la mécanique quantique, etc…). Ces théories subsistent tant qu’on n’a pas trouvé un phénomène qui les contredise. Toute nouvelle vérification expérimentale ajoute à la crédibilité d’une théorie. Une seule expérience bien établie qui contredit une théorie suffit à en prouver l’insuffisance et conduit à une avancée théorique génératrice de progrès. Les nouvelles théories englobent les faits précédemment avérés plus d’autres. On notera qu’à ce stade, l’imagination scientifique est un atout précieux : l’intuition joue un rôle important dans les découvertes. Mais il est intéressant de discuter la manière dont ces théories ou ces lois sont présentées. Les modèlesEn réalité, l’énoncé de ces théories ou de ces lois sous-entend la formule « tout se passe comme si… ». Newton l’a explicitement employé en énonçant sa loi de la gravitation universelle. Plus tard, l’observation du mouvement de la planète Mercure a montré que celui-ci n’y obéissait pas tout à fait. Alors Einstein l’a remplacée par un énoncé basé sur un principe totalement différent : tout se passe comme si l’espace était déformé par la présence de matière, les planètes suivant des trajectoires déterminées par la courbure d’un tel espace. Mais la loi de Newton reste une excellente approximation. Dans le langage scientifique moderne, le « tout se passe comme si » s’appelle « modèle ». Ce mot est révélateur: la Science ne prétend pas atteindre la Réalité, mais en donne une description ou, si on préfère, une transcription. Cette notion de modèle est omniprésente dans la Science. L’avènement des ordinateurs en a multiplié l’usage. On modélise une étoile, le climat, une molécule complexe, la trajectoire d’une particule ou les remous provoqués par un avion. On se donne les lois physiques qui gouvernent le phénomène et on écrit les équations qui représentent ces lois appliquées à l’objet étudié dans les conditions où il se trouve, puis on les résout. La solution est comparée aux observations et on modifie éventuellement les hypothèses jusqu’à satisfaire les observations. On obtient ainsi un modèle du phénomène qu’on peut d’ailleurs faire évoluer en modifiant des paramètres. On voit ainsi qu’un modèle est une construction abstraite qui permet de décrire un objet ou un phénomène, que ce soit sous la forme d’analogies, de formules mathématiques, d’un ensemble d’hypothèses, de graphiques, de représentations imagées, etc…Il est important d’insister sur le fait que ce n’est pas la Réalité qui est rétablie (on ne sort pas une étoile d’un ordinateur !), mais bien une représentation simplifiée sous une forme qui en facilite la compréhension. Ainsi, pour en revenir à l’exemple d’un modèle d’étoile, on donnera les distributions des températures, des pressions et de la matière à l’intérieur d’une étoile telles que les caractéristiques observées à sa surface (spectre, température, dimensions) soient retrouvées. Mais rien ne prouve que le modèle trouvé soit le seul possible et qu’il reste des éléments inconnus qu’on n’ait pas encore mis en évidence. On a parlé, dans un autre contexte (théorie quantique des particules élémentaires) de « réalité voilée » lorsqu’il est fondamentalement impossible de représenter un phénomène dans tous ses détails. Je dirai volontiers que, de la même manière, tout modèle ne dévoile qu’une partie de la réalité et ce d’une façon indirecte. La Vérité scientifique est donc toujours présentée et même connue de manière cryptée, incomplète ou encore voilée. De là à nier l’existence d’un monde objectif et considérer que tout est image est une tentation à laquelle certains ont cédé, mais je ne les suivrai pas sur cette pente qui mène au nihilisme total. Un autre aspect de la Science, qui a profondément marqué son image, est son pouvoir de prédiction. Le Scientisme du 19e siècle, à la suite de Laplace, est basé sur le fait que si l’on connaissait parfaitement les causes (c’est-à-dire les lois de la Nature) et les conditions initiales exactes d’un phénomène évolutif (par exemple les positions des planètes à un instant donné), on pourrait en déduire exactement son évolution dans l’avenir. On sait maintenant que certaines lois de la physique macroscopique ont un caractère statistique basé sur la loi des grands nombres (2e principe de la thermodynamique) alors qu’en physique des particules, il existe une incertitude fondamentale (d’après le principe de Heisenberg, on ne peut pas observer avec une grande précision à la fois la position et la vitesse d’une particule). D’autres lois parfaitement déterministes, comme la loi de la gravitation universelle, peuvent conduire à des situations instables menant à une incertitude sur l’évolution d’un système, d’autant plus forte qu’on ne peut pas connaître avec une précision infinie les conditions à un instant donné (chaos déterministe). On a aussi introduit la notion de chaos quantique. Tout ceci contribue au flou de la réalité physique et même des modèles tendant à la représenter. Pour terminer ce tour d’horizon de la représentation de la Réalité scientifique il faut signaler un autre danger dont l’image de la Science souffre parfois. Il est certes bon de présenter au public les résultats et les théories scientifiques, mais souvent la vulgarisation simplifie encore plus, parfois à outrance, les modèles. Ceci donne des images simplistes de la Réalité, en supposant qu’en ce faisant, elle n’est pas trahie, ce qui est malheureusement souvent le cas. La ReligionL’originalité des religions est qu’elles sont basées sur une révélation. Mais cela ne suffit pas. Il ne suffit pas de se déclarer messie ou gourou pour imposer le message qu’on a reçu (ou que l’on a cru recevoir). Les confirmations isolées ne sont pas suffisamment crédibles pour établir une religion. La révélation n’est vraiment admise comme telle que si elle est accompagnée et suivie de très nombreuses expériences personnelles ou collectives, solitaires ou partagées. Il peut s’agir de faits observés, de témoignages, d’expériences mystiques ou spirituelles, de rencontres, de réflexions, de conversions soudaines ou progressives. Certaines de ces expériences sont ésotériques, d’autres sont transmissibles. C’est cette transmission qui fait, par exemple, la force et la continuité des ordres monastiques. C’est l’accumulation de ces évènements qui constitue le terreau sur lequel la Religion se développe, confortée par la Tradition et les approfondissements doctrinaux et constituant en définitive, un ensemble tout aussi impressionnant que les bases d’une théorie scientifique. Cependant, dans la mesure où la description des faits religieux n’a pas la rigueur des mesures ou des observations scientifiques et que, d’autre part, elle passe par une interprétation personnelle, sinon émotionnelle, elle se trouve être beaucoup plus sensible à l’environnement culturel ou philosophique. Pourtant, la Science fourmille également d’erreurs associées à des préjugés. Ainsi, des exemples récents, comme les théories de Lyssenko, montrent que la Science n’est toujours pas à l’abri d’erreurs associées à un préétabli philosophique ou politique. Prenons l’exemple de la Religion chrétienne. La révélation fondamentale se trouve dans les Évangiles, encore qu’elle ait été préparée par les révélations de l’Ancien testament. Les Évangiles relatent des faits et transmettent l’enseignement du Christ, ce qui concourt à établir la véracité historique et le contenu du dogme. Je voudrais, à titre d’exemple, attirer particulièrement l’attention sur l’enseignement relatif au Royaume de Dieu. Il est donné sous forme de paraboles. Or, qu’est-ce qu’une parabole sinon une vérité profonde et indescriptible représentée par une analogie qui utilise une image ou un récit suggéré par l’environnement culturel des auditeurs ? Ainsi, le Royaume de Dieu est présenté par plusieurs paraboles commençant par les mots « à quoi comparerais-je le Royaume des Cieux? Il est semblable à… ». C’est exactement l’équivalent d’un modèle en Science. L’amour de Dieu pour les hommes est présenté comme celui d’un père pour son fils prodigue ou du patron donnant le plein salaire à des ouvriers n’ayant travaillé qu’une heure. Ce sont encore des modèles. Je dirais même de la vulgarisation. Ce sont encore des modèles que l’Église Orthodoxe présente aux fidèles sous forme d’icônes. À première vue, ce sont des représentations stylisées de personnages ou d’évènements, bien différentes des peintures religieuses occidentales. Ce sont des modèles que le croyant interprète comme des fenêtres sur le Royaume de Dieu en les vénérant, ce qui contribue à l’affermissement de leur foi. C’est à travers elles qu’il prend contact avec cette réalité religieuse si difficile à cerner. Cependant, la réceptivité à ces représentations a un côté culturel. D’autres sont plus sensibles à d’autres modèles ou symboles comme le cierge pascal ou les lieux d’apparition de la Sainte Vierge. Ces symboles et ces modèles sont, dans la Religion, encore plus éloignés de la réalité qu’ils représentent qu’en Science. Il s’ensuit que, bien plus encore que dans le cas de la Science, la connaissance religieuse est partielle et imparfaite et sa transmission est encore plus simplificatrice et déformante. On peut donc dire que la Réalité religieuse nous parvient, tout comme la Réalité scientifique, sous une forme voilée. La difficulté supplémentaire est que l’interprétation est plus personnalisée, ce qui peut expliquer la diversité des grandes familles religieuses chrétiennes. Interpénétration de la Science et de la ReligionUne position très fréquemment prise est la suivante : à chacun son métier et les vaches seront bien gardées : laissons à la Science le soin de dévoiler le « comment » des phénomènes naturels et que la Philosophie ou la Religion réfléchissent sur leur « pourquoi ». C’est net, mais bien simpliste, puisque les deux s’intéressent au même Monde. Le meilleur moyen d’éviter les conflits n’est-il pas de ne pas piétiner les plates-bandes de l’autre ? Cela revient à refuser intégralement l’approche de l’autre, donc à acculer l’une à un dogmatisme intégriste et l’autre à un matérialisme et le scientisme non moins sectaire. Ces deux points de vue extrêmes sont beaucoup trop rigides. Cela revient à résoudre l’antinomie entre les deux approches par une séparation binaire définitive. Or, bien au contraire, un dialogue doit s’instaurer en vue de rechercher une réponse synthétique à certaines questions fondamentales communes. De même qu’il n’est pas possible de répondre à la question du pourquoi sans connaître le comment, inversement, une vision globale du Monde ne peut se passer d’une interprétation philosophique explicite ou implicite des grands problèmes qui se posent à l’esprit. Donnons quelques exemples. L’Univers est tel que des êtres vivants, puis pensants ont pu apparaître. Avant d’en discuter le pourquoi, c’est à la Physique de poser correctement le problème. C’est aux scientifiques de dire entre quelles limites les valeurs des quelques constantes universelles doivent se situer pour que des éléments lourds puissent se former au sein des étoiles, pour que l’Univers n’ait pas implosé avant que la vie ait pu apparaître, pour que des réactions chimiques complexes puissent se produire sous certaines conditions et que les constituants biologiques de base ainsi formés soient stables, etc… Si, comme certains calculs tendent à le montrer, les intervalles favorables sont très faibles, alors le problème du hasard ou d’une Volonté extérieure se posera à la fois à la Science et à la Religion et il serait malhonnête de part et d’autre de l’éluder, même si on peut s’attendre à ce que plusieurs réponses soient proposées. Un autre exemple est donné par la constatation que, contrairement à la Mécanique statistique qui régit la Thermodynamique, on constate une tendance fréquente sinon générale à la formation d’éléments de plus en plus complexes (atomes lourds, molécules simples, puis celles qui caractérisent la vie). On constate que cette tendance est génératrice de progrès, ce qui pose immédiatement la question du pourquoi. Science et Religion ont toutes deux leur mot à dire (c’est d’ailleurs ce qu’a tenté de faire Teilhard de Chardin). L’une sans l’autre ne pourra donner qu’une réponse incomplète : les scientifiques auraient tendance à y mettre, volontairement ou non, un préalable positiviste ou métaphysique tandis qu’une interprétation strictement religieuse, non basée sur des résultats scientifiques, mènerait à un créationnisme primaire. On pourrait de même approfondir les mystères de la Vie, qu’il s’agisse de sa nature ou de son origine, en confrontant les approches religieuses de ces problèmes aux acquis de la Science. On pourrait en dire autant de l’origine de l’Univers ou du destin de l’Humanité, etc… Bien que toujours voilé, ce qui sortira de cette synthèse aura une légitime prétention d’être plus complet et se rapprocher de la Réalité profonde. C’est en tous les cas dans ce sens qu’il faut aller pour résoudre l’antinomie entre la Science et la Religion, ces deux classes d’approche de la Vérité. Pour aller plus loin, il est utile d’aborder cette notion de vérité des points de vue de la Science et de la Religion. Vérité scientifique et Vérité religieuseLa Science et la religion prétendent, par des cheminements dissemblables, mais qui ne s’excluent pas, chercher la vérité et la transmettre. Malgré la différence de leurs approches, elles procèdent pourtant en partie de la même logique. Nous avons vu que les résultats des recherches scientifiques se présentent sous forme de modèles que l’on cherche à rendre cohérents entre eux, avec les observations et avec les lois fondamentales de la Physique. Ces modèles permettent aux scientifiques de donner une représentation accessible des observations et des mesures et de rendre compte de la répétitivité des effets lorsque les causes sont fixées. Dans le cas de la Religion, dans laquelle les dogmes jouent le même rôle que les lois de la Physique en Science, les modèles sont constamment confrontés aux expériences religieuses et spirituelles des croyants, la cohérence de l’ensemble étant un des objectifs des théologiens. Je voudrais insister sur cette analogie. De même que les théories scientifiques évoluent lorsque les observations l’exigent, il y a aussi enrichissement de la théologie lorsqu’il y a consensus parmi les fidèles qui vivent leurs expériences religieuses. Les exégètes et les théologiens sont, en religion, les équivalents des théoriciens en Science. De même que les expériences ou observations scientifiques capitales conduisant à des lois sont reconnues par toute la communauté scientifique et deviennent incontournables pour modéliser la Réalité, les expériences mystiques essentielles sont reconnues par le biais de nouveaux dogmes chez les Catholiques, une évolution plus progressive et plus nuancée chez les Orthodoxes, une certaine libéralisation des concepts chez les Protestants et aussi par des béatifications ou des canonisations, par la création d’ordres religieux nouveaux ou plus simplement par consensus, et contribuent ainsi à enrichir la vérité religieuse et sa tradition. Peut-être est-ce parce que les deux approches sont liées à la façon dont fonctionne l’esprit humain, mais le fait est que la recherche de la Vérité suit un processus analogue en Science et en Religion et ceci, avec la même rigueur. Certes, les « preuves » de ces vérités ne sont pas du même ordre, mais elles sont issues de la même démarche. La preuve de la Relativité restreinte se trouve par exemple dans les mesures effectuées dans les accélérateurs de particules. La preuve de Dieu se trouve dans les témoignages ou les expériences mystiques. Bien entendu, n’importe qui ne peut pas renouveler personnellement des expériences mystiques. Est-ce une raison pour les nier ou en nier la signification ? Je défie l’homme de la rue de renouveler pour son propre compte une expérience d’accélération des particules. Est-ce une raison pour en nier les résultats et leurs conséquences théoriques ? Tout le monde n’est ni Einstein, ni Sainte Thérèse de Lisieux. Dès lors se pose le problème de la communication et de l’adhésion à ces Vérités. Confiance et FoiJe suis scientifique. Je comprends les méthodes de recherche et de raisonnement utilisés par mes collègues, mais dans 99 % des cas, je suis incapable de vérifier leurs expériences ou de les suivre dans leurs déductions conduisant aux modèles qu’ils me proposent. Pour moi, et pour prendre des exemples dans des sciences très diverses, l’action de l’ARN ou des neurotransmetteurs, le calcul des prédicats, la théorie des quarks ou l’organisation des cristaux liquides, c’est de l’hébreux. Pourtant, je fais confiance à mes collègues et crois en leurs résultats, de même qu’ils me font confiance quand je leur présente ma spécialité scientifique que, en général, ils ne comprennent pas mieux. Je leur fais également confiance, même si au cours des recherches d’explication on voit apparaître des modèles divergents, parce qu’en définitive, il y a tout un réseau de relations entre les diverses sciences qui réunit l’ensemble des résultats scientifiques en une globalité cohérente. Cela n’exclut pas l’esprit critique. Il y a des erreurs scientifiques (et même des faux). On entend dire, et je l’ai moi-même dit : « je ne crois pas à ce résultat. » Cela se produit lorsqu’il se rapporte à un domaine que je connais, soit qu’il contredise mon expérience, soit qu’il heurte mes vues personnelles, vues forcément limitées, sur l’Univers physique. Si ces résultats se confirment, je dois les accepter et modifier mes idées. Mais il arrive aussi que des résultats annoncés comme étant sérieusement vérifiés, souvent médiatisés à outrance, se trouvent finalement être inexacts, justifiant alors le scepticisme qui les avait accueillis (exemple, la mémoire de l’eau, la cinquième force ou les avions renifleurs). Ces résultats hétérodoxes prennent extérieurement des allures scientifiques et c’est un rôle vital que de faire le tri aussi rapidement que possible car ils font un tort considérable à la Science. Ainsi, en dépit de ces errements, mais en ayant confiance dans la communauté des scientifiques pour séparer l’ivraie du bon grain, je crois en la Science et en ses résultats. Je suis Chrétien. Je comprends qu’il existe une vision religieuse du Monde et j’en ressens profondément la nécessité. Mais je suis à 99 % incapable de vérifier ce que l’on m’enseigne. Je n’ai pas eu d’expérience mystique, je suis nul en théologie, je suis incapable de soutenir une discussion sur le péché originel ou sur l’immaculée conception, mais je fais confiance à tous ceux, très nombreux, qui ont témoigné de leurs pratiques mystiques, à ceux qui vivent quotidiennement leur foi chez eux ou dans les monastères, et surtout, à cette tradition bi-millénaire qui est le fruit d’une immense accumulation d’expériences et qui constitue un tout cohérent et harmonieux. En d’autres termes, je fais confiance à tous ces témoignages et à toutes les confirmations qu’ils impliquent et cette confiance affermit ma foi. Dans ce domaine aussi, les erreurs existent. On a dit qu’une religion est une secte qui a réussi, tout comme en Science, il y a de nombreuses idées qui n’ont pas réussi. Si des sectes ne réussissent pas, c’est parce qu’elles ne recueillent pas le fonds de témoignages concordants nécessaire pour asseoir une religion. Comme en Science, en définitive, le tri se fait. Ainsi, ce parallélisme m’inspire la même confiance vis-à-vis de la Religion chrétienne que vis-à-vis de la Science. C’est pourquoi, dans ces conditions, il me paraît nécessaire qu’une vision du Monde doive comporter des éléments pris dans chacun des domaines avec un enrichissement mutuel. L’effort à faire pour y arriver est de résoudre leur antinomie par une synthèse issue d’un dialogue confiant. Ces deux visions devront se compléter et même se rejoindre et constituer un outil beaucoup plus efficace pour la connaissance et la compréhension du Monde que chacune d’entre elles prise séparément. C’est, en tous les cas, une telle synthèse, d’ailleurs toute personnelle, qui me permet de concilier ma foi Chrétienne et mon expérience scientifique. Une telle vision synthétique me permet de donner un sens au Monde, sans lequel j’aurais un sentiment d’incomplétude. Il y a une circonstance particulière qu’on ne peut pas éluder : malgré quelques variantes, la connaissance scientifique est globale, alors qu’il y a plusieurs grandes religions. Ce fait incite les matérialistes à prétendre que cela prouve que les religions sont vides de sens. Mais à l’examen, il faut constater qu’il y a un fonds commun à toutes les religions : la force de la Mystique, la puissance de l’Esprit qui peut interagir avec le monde matériel, la reconnaissance d’un Dieu – qu’il soit unique ou qu’il y en ait plusieurs – et une certaine possibilité de communiquer avec lui ou eux, le caractère non inéluctable ou définitif de la mort, etc… Il est certain que des adeptes d’une autre religion que la mienne pourraient tenir le même raisonnement que moi et justifier tout autant leur confiance en leur foi. Si l’on compare l’objectif d’une vie religieuse à l’escalade d’une montagne (encore un modèle !), il se peut qu’il y ait plusieurs voies pour l’atteindre. Mais il est essentiel de suivre celle qu’on a choisie et en laquelle on a confiance, car essayer d’en changer en cours de route, c’est prendre le risque de s’égarer ou de tomber dans un précipice. C’est pourquoi cela ne me gêne pas qu’il y ait d’autres religions qui sont fort respectables et peut-être aussi efficaces pour atteindre le sommet. Toutes peuvent apporter un plus à la vision du Monde purement scientifique. L’histoire des sciences nous donne un élément de comparaison. En effet, elle est apparue dans des pays très différents. Les sciences chinoise, assyrienne, inca, égyptienne, grecque sont très différentes. Pourtant, elles donnaient toutes des descriptions, des modèles valables à la précision qu’on pouvait alors atteindre, notamment pour les phénomènes astronomiques, la géométrie, la métallurgie, la mécanique. De même, les sciences appartenant à une même lignée se sont considérablement modifiées au cours des siècles. La Science du Moyen Âge, celles des 17e ou 19e siècles et la Science moderne ne se ressemblent pas. Pourtant toutes comprennent une portion de vérités scientifiques plus ou moins approximatives, plus ou moins bien exprimées, mais exactes. Qui peut dire ce que sera la Science du 22e siècle ? Pourquoi ce qui s’applique à la Science ne s’appliquerait-t-il pas aux religions si elles ont un certain fonds de Vérité, plus ou moins grand, plus ou moins bien exprimé ? Exemple de SynthèseOn en arrive dès lors au raisonnement suivant. Il est une Vérité scientifique et une Vérité religieuse. De plus, par définition, le Monde est unique puisqu’il contient tout ce qui existe. Or, Dieu existe (c’est la Vérité première des religions), et par conséquent il est dans le Monde. Donc, une Cosmologie totale doit l’inclure. Toutefois, comme l’étude scientifique de l’Univers matériel, avec ses trois dimensions et le temps, n’a pas permis de trouver Dieu, il faut en conclure qu’il transcende l’Univers matériel et qu’il faut étendre à d’autres dimensions le Monde qui nous concerne. Tout comme un être à trois dimensions pourrait toucher du doigt des êtres hypothétiques à deux dimensions vivant dans un plan sans qu’ils puissent même imaginer comment il est, Dieu pourrait être parmi nous et même en nous sans que nous nous en doutions. Dans un tel hyper-univers difficilement accessible autrement que par des modèles, mais que, d’ailleurs, les mathématiciens sauraient définir, Dieu et l’Univers matériel soit coexisteraient, soit seraient en symbiose. Une telle éventualité permettrait de résoudre l’antinomie Science-Religion tout en expliquant l’impossibilité de se représenter Dieu. Des qualificatifs tels que « Amour » ou « Vie » qu’on tente de Lui donner ne sont pas mesurables mais permettent, comme le prétend la Religion chrétienne, d’avoir une parcelle présente en nous (« le Royaume de Dieu est en vous »). Ainsi l’homme aurait une composante dans cette autre dimension extérieure à notre Univers matériel. On pourrait appeler cette composante « Âme ». Dans une telle vision, la Religion et la Science jouent un rôle complémentaire. D’ores et déjà, certaines propriétés de l’association onde-particule (expérience d’Aspect) ne sont pas compréhensibles dans l’état actuel de la Science et on a proposé de faire intervenir une autre dimension qui pourrait expliquer une transmission instantanée de l’information. Ce n’est pas pour autant la dimension divine, mais cela montre seulement que se restreindre à ce qui est directement accessible, à l’observation physique et à nos modèles actuels, est insuffisant. « Il y a aussi d’autres domaines, qui sont encore tabou dans la Science moderne, mais qui pourraient jeter des lueurs sur les relations avec l’Univers spirituel. Je ne citerai que les actions à distance comme l’hypnose ou certaines prémonitions, sans parler des visions répertoriées par la Religion. C’est un terrain glissant sur lequel il ne faut s’aventurer qu’avec la plus extrême prudence. Je pense néanmoins que s’y engager permettrait à la Science, non pas de rencontrer Dieu, mais de constater que le substrat dans lequel baigne la Vérité religieuse a une existence objective. ConclusionEn conclusion, je voudrais reproduire le paragraphe suivant du Prologue du Phénomène Humain : « Le moment est venu de se rendre compte qu’une interprétation, même positiviste, de l’Univers doit, pour être satisfaisante, couvrir le dedans aussi bien que le dehors des choses, l’Esprit autant que la matière. La vraie Physique est celle qui parviendra, un jour, à intégrer l’Homme total dans une représentation cohérente du monde. »
1 Commentaire
12/12/2023 21:21:44
Je suis dans la phase de promotion du livre « Intrication biologique circonstances de décou-verte ».
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