Ce texte du Père Jacques Bernard (Docteur en théologie et en science des religions – Exégète de l’Institut Biblique Pontifical. Professeur d’hébreu, il a été pendant 25 ans chercheur et enseignant à L’Institut pontifical d’études juives de Jérusalem), a été écrit suite à un colloque sur l’auteur de l’Évangile de Jean organisé par l’Université Interdisciplinaire de Paris. Il doit faire partie des actes de ce colloque, qui ne sont pas encore publiés. En attendant nous le mettons ici sur le site de l’Uip pour permettre, entre autres, aux lecteurs de l’ouvrage de Jean Staune Jésus l’enquête (Plon, octobre 2022) d’en prendre connaissance, car l’auteur y fait référence.
L’importance exceptionnelle de ce texte (que sa grande érudition peut rendre difficile d’accès à des non-spécialistes) est de montrer que, contrairement à toute l’exégèse moderne qui affirme que le prologue de l’Évangile de Saint-Jean a été écrit par un disciple grec d’un disciple de Jésus, chaque phrase de ce prologue montre une connaissance profonde de la culture et de la théologie hébraïque comme seul un membre d’une haute caste sacerdotale du temple de Jérusalem pouvait posséder, et c’est donc bien le « Disciple que Jésus aimait » qui est l’auteur ( voir à ce sujet l’ouvrage de Jean Staune cité ci-dessus).
L’importance exceptionnelle de ce texte (que sa grande érudition peut rendre difficile d’accès à des non-spécialistes) est de montrer que, contrairement à toute l’exégèse moderne qui affirme que le prologue de l’Évangile de Saint-Jean a été écrit par un disciple grec d’un disciple de Jésus, chaque phrase de ce prologue montre une connaissance profonde de la culture et de la théologie hébraïque comme seul un membre d’une haute caste sacerdotale du temple de Jérusalem pouvait posséder, et c’est donc bien le « Disciple que Jésus aimait » qui est l’auteur ( voir à ce sujet l’ouvrage de Jean Staune cité ci-dessus).
Qui a écrit « Le prologue de Jean», « Celui que Jésus aimait » ou « Le fils de Zébédée » ou... un autre ?
Les Evangiles ont longtemps été appelés « mémoires des apôtres » jusqu’à ce qu’au deuxième siècle de notre ère, les apôtres étant tous morts autour des années 66[1], on donnât à chaque recueil de « mémoires » un auteur particulier. Matthieu pour les « mémoires » araméennes ou grecques de Syrie, Luc pour les « mémoires » qui arrivèrent à Ephèse, Marc, pour celles de Rome et Jean pour l’Evangile si particulier, en raison de la durée du ministère de Jésus qui s’y étale sur trois années liturgiques ponctuées par trois fêtes fêtes de Sukkot (Tentes), Shavuot (Pentecôte) et Pessah (Pâque)[2], avec son prologue objet de notre colloque. Quel est l’auteur de l’Evangile qui fut appelé au second siècle de l’ère chrétienne « Evangile de Jean » ? Est-ce le Fils de Zébédée (Lc 5,10) dont le frère est Jacques, tous deux pécheurs sur le lac de Génésareth ? Mais, comme le rappelait Jean Christian PETITFILS dans notre colloque, l’auteur de ces « mémoires » aurait très bien pu être martyr en même temps que son frère en 43-44. D’autre part l’auteur du 4° Evangile se montre parfois si érudit des sources juives de son temps, que ce n’était sans doute pas un pécheur de Galilée. Il a, durant la Passion, accès au palais du Grand-prêtre où il fait entrer Pierre (Jn 18,15s). Tous ces arguments historiques ont été développés en long et en large de manière magistrale durant le colloque. Il peut être intéressant maintenant de vérifier si l’analyse du texte, en interne, vient confirmer les doutes soulevés par la cohérence historique.
Pour illustrer le débat, nous prendrons un texte qui, de réputation chez de très nombreux exégètes, pose la question d’une pluralité d’auteurs. Il s’agit tout simplement du « Prologue » dit de St Jean qui a l’avantage pour notre colloque d’être connu de presque tous, puisque, avant le Concile Vatican II, il était lu à la fin de toutes les célébrations de messe.
1 - Le texte du Prologue
Une littérature abondante entoure ce prologue. On y reconnaît généralement deux auteurs[3]. Le premier serait l’auteur principal du quatrième évangile et le second un interpolateur tardif. Dans le texte que nous en donnons, nous écrirons en caractère gras ce qui serait de l’auteur principal. Nous ne tenterons pas d’en préciser le nom avant la conclusion générale de l’article. Restera donc en caractère ordinaire l’apport supposé de l’interpolateur. Chaque section du prologue fera, dans un premier temps, l’objet d’un petit commentaire. Il sera assez général pour recouvrir les hypothèses émises ensuite sur « l’auteur » éventuel. En général, un mot de langue étrangère, signalé entre guillemets, sera écrit en italique, suivi, après un /, d’une traduction en français. Deux traductions possibles seront reliées par un trait d’union. Enfin, pour faire droit au plurilinguisme souvent balbutiant (grec-hébreu-araméen), des disciples de Jésus, nous transcrirons, quand cela sera nécessaire, les mots grecs en minuscules italiques (Ex : Logos) et l’hébreu, par les 3 lettres du radical en majuscules (exemple : DaBaR).
Versets 1-5
(1a) « En archè/BeReSHit/Au commencement » était le « Logos (?) »
(1b) et le « Logos/DaBaR » était « pros ton Théon/tourné vers le Dieu »
(1c) et « théos/dieu » était le Logos (?).
(2) Celui-ci était « En archè/au commencement » « pros ton/tourné vers » Dieu.
(3) Tout fut par lui
et sans lui rien ne fut.
(3c) Ce qui a été
(4a) « En/en-par » lui était de la « Zoè/vie »
(4b) et la vie était « to phôs n.[4]/le Rayonnement » des hommes
(5) et le « Rayonnement » dans la « skotia/ténèbre » luit
et la ténèbre ne l'accueillit pas.
Bref commentaire des v.1-5
Allusion est clairement faite au « commencement du monde » (Genèse 1). C’est un texte de création qui comme tous les textes de création est écrit en poésie. Il demande donc une grande attention. Il a été écrit après la découverte, en Exil, du monothéisme d’Amour. Seul l’Amour créateur peut intégrer les contraires et la multiplicité des divinités[5] (-540 environ). Dans ce cadre du « commencement du monde », le « Logos-DaBaR » peut s’entendre d’un énoncé divin, devenu créateur. Ceci est concevable dès le prophète Ezéchiel chez qui l’énoncé d’un ordre divin est créateur : « Le DaBaR /énoncé d’un ordre sera exécuté » (Ez 12,25.28). L’ordre divin dans l’Amour est perçu comme Créateur. Énoncé par Dieu, le Logos- DaBaR est tourné vers son point d’origine. Il est « tourné vers Dieu », (Pros + Acc = vers), comme Moïse est tourné vers le Père quand il reçoit le « Logos/DaBaR» sinaïtique (Ex 34,34s). Le « Logos/DaBaR» sinaïtique est, en même temps, tourné vers les hommes. Toutefois, à la différence du logos mosaïque qui reste humain, le « Logos/DaBaR » dont il est question ici, est « Théos/dieu ». Non pas « Theios/divin », mais « Théos/=dieu dans son être ». On retrouve là la signification du « Memra[6] » de YHWH dans la langue parlée des auditeurs de Jésus. Telle est la poésie du premier verset du prologue que nous tentons de rendre accessible en français.
(v.2) Celui-ci était au commencement « pros ton Théon ».
Le « Logos/ DaBaR /code », tout en étant Dieu, reste « tourné vers Dieu » dans son adresse aux hommes. La cohérence est parfaite : Le lecteur grec du « Logos tourné vers Dieu » retrouve le «DaBaR /code » de l’hébreu comme « tourné vers Dieu » et « tourné vers le monde ». C’est l’attitude de Moïse quant il parlait à Dieu dans la tente de la rencontre (Ex 34,35). Notre fidèle disciple de Jésus étant bilingue, il retrouve derrière le mot « Logos » sa double culture : celle de sa tradition religieuse en hébreu-araméen (tourné vers) et, en grec, celle des occupants gréco-latins depuis trois siècles (Logos=Parole de Dieu créatrice) .
(v.3) Tout fut par lui et sans lui rien ne fut.
Dans le poème de Gn 1, la formule « Wayyomer Elohim/ et Dieu dit » commence tous les versets annonçant une nouvelle création. Elle manque cependant en Gn 1,1s, laissant supposer un chaos primordial avant l’ordre divin créateur. Le prologue de Jean s’oppose nettement à cette vision, possible en Gn 1,1 d’un chaos primordial laissant supposer qu’avant la création par le Logos il y avait comme dans le survanisme (source empruntée par le zoroastrisme) ou le mazdéisme perse[7] une divinité du bien et du mal antérieure à la création par l’ordre divin. Jn 1 s’oppose clairement à tout « chaos primordial ».
(v.3c.4a) Ce qui a été
« En/en-par » lui était de la « Zoè/vie (f)
Le « Èn grec = Be hébr signifient : « dans » et « par ». « Dans et par » le « Logos/ DaBaR» créateur, il y avait « de la vie »[8]. Etait-ce « de la vie » comme en tout être vivant (Gn 2,7.19) ? Ou « de la vie » comme celle proposée à l’homme par la Torah (Dt 31) dans « l’arbre de la connaissance du bien et du mal » offert à Adam comme antidote à « l’arbre de vie » cananéen (Gn 2,9). À la fécondité donnée par le Baal répondrait la vie donnée par Dieu dans l’arbre de la « connaissance du bien et du mal », c’est-à-dire la Torah (Dt 30,15s). Le « Logos/ DaBaR», serait alors « tourné vers Dieu », comme Moïse, lui aussi, était tourné « vers Dieu » pour recevoir la Torah et tourné vers les hommes pour la leur donner. Le « Logos- DaBaR » est devenu leur Torah. En et par le « Logos- DaBaR», les israélites ont reçu sur la terre la « vie » que Dieu a donnée à Moïse dans la Torah. Avec le passage à l’hellénisme on dira que YHWH ne l’a pas donnée seulement à Israël mais à tous les peuples qu’ils l’aient acceptée ou refusée[9].
(v.4b) et la vie était « to phôs/le « Rayonnement » (n) des hommes
Et la vie était le « to phôs n./rayonnement » des hommes. Qu’est-ce que ce nom neutre « to phôs » ? Pourquoi ne pas traduire par « la lumière » comme le font presque toutes les traductions ? La réponse est donnée dans le paragraphe suivant consacré à Jean-Baptiste. Mais une première explication est donnée, au verset suivant, qui évite les commentaires simplistes.
(v.5) et le « Rayonnement » dans la « skotia f. /ténèbre » luit
et la ténèbre ne l'accueillit pas.
Le « Rayonnement » dans la « skotia/ténèbre » luit et la « skotia » ne l’accueillit pas. Il ne s’agit donc ni de la lumière du soleil ni de l’obscurité de la nuit. Car il n’arrive pas que la nuit n’accueille pas la lumière de l’aube. Le sens est à chercher ailleurs, dans la tradition juive contemporaine de Jésus ou de l’auteur du Prologue.
De quelle autre « Rayonnement » parle-t-on ? S’agit-il de la « lumière » qui chez le dieu perse Mazda, englobait toutes les divinités du soleil et de la lune, les considérant comme des divinités vaincues ou de simples « luminaires » rehaussant la richesse spirituelle de sa couronne ? Mais pour Israël, cette « lumière » de Mazda n’est plus, en Gn 1, qu’une simple créature de YHWH au premier jour (Gn 1,3), et les « luminaires » de sa couronne, créés le quatrième jour (Gn 1,14), ne sont créés que pour être les repères liturgiques des fêtes de son peuple. Le « to Phôs/rayonnement » et la « skotia/ténèbre » doivent donc désigner dans le contexte de « création » un « Rayonnement initial[10] » dont le refus reste à préciser. Le paragraphe suivant nous y aidera.
Conclusion 1 (v.1-5)
Déjà une conviction se fait jour : Est-ce bien le Fils de Zébédée, pécheur sur le lac, qui a pu rédiger ce texte, lequel demande une connaissance approfondie de la tradition juive depuis la découverte du monothéisme au temps des Perses ? Le rédacteur ne serait-il pas plutôt un des prêtres de communautés, semblables à ceux qui ont écrit le « document de Damas », en froid avec les prêtres du Temple tout en faisant partie de leur réseau[11] ? C’est ainsi qu’à la différence de Jean « fils de Zébédée », un autre « Jean », « connu du Grand-Prêtre », « celui que Jésus aimait » aurait pu connaître le milieu baptiste et le prophète de fin des temps auquel Jésus a demandé d’être baptisé. Ce pourrait être un compagnon des débuts baptistes de Jésus. Mais n’anticipons pas !...
-oO§Oo-
Versets 6-8 (l’ensemble, en caractère simple, serait donc adventice selon une opinion souvent partagée).
(6) (Egeneto/Fut) un homme « apestalmenos/missionné-envoyé » d'auprès de Dieu, son nom était Jean
(7) « Outos/Celui-ci » vint pour un témoignage
afin qu'il témoigne au sujet du « to phôs/Rayonnement »
afin que tous croient par lui.
(8) (ekeinos/Celui-là) n'était pas le « Rayonnement »
mais afin qu'il témoigne du « Rayonnement ».
LXX
Bref commentaire des v. 6-8
(v.6) (Egeneto/Fut) un homme « apestalmenos/envoyé » d'auprès de Dieu, son nom était Jean
Il s’agit sans conteste de Jean le baptiste. Pourquoi lui attribue-t-on ce titre « apestalmenos » qui en grec signifie « envoyé »[12], en hébreu « SHaLiaH », et donnera le mot « apôtre » en français. Le « shaliah » est défini par la tradition juive comme « DoMeH Li SHeLuHo/identique à celui qui l’envoie »[13]. Mais qui pouvait se dire « identique à Dieu qui l’envoie » ? Il peut s’agir de Moïse (Ex 3,9-14) qui a été face-à-face avec Dieu au Sinaï pour donner la Torah à Israël (Ex 19,19 ; 33,7-23 ; Dt 5,25-31). Ou encore d’Elie qui a vu Dieu à l’Horeb (1 R 19) et est monté au ciel sans mourir (2 R 2). Il peut s’agit d’un ange comme le suggère à Dieu Moïse dans son refus d’être le « shaliah » de Dieu auprès de Pharaon[14]. C’est d’ailleurs l’ange Gabriel qui est envoyé à Marie (Lc 1,26). Jésus utilisera ce terme « apostolos/shaliah » pour se désigner et désigner ses « apôtres » en disant « Celui qui vous écoute m’écoute, qui vous rejette me rejette et rejette « aposteilanta me/Celui qui m’a envoyé » (Lc 10,16 ; Mt 10,40). Il y a bien là une définition d’identité. L’attribution du titre « apestalmenos /envoyé » à Jean Baptiste, alors qu’il n’est ni un ange, ni Moïse ni Elie, ni un des douze apôtres, suggère qu’il bénéficie d’un autre type d’identification-communion avec Dieu, que ce soit par le biais de Moïse ou encore celui du prophète Elie. On notera qu’à la suite du Prologue, la question de cette identification est posée à Jean Baptiste par des prêtres et des lévites : « Pourquoi baptises-tu si tu n’es ni le Christ, ni Elie, ni le prophète ? » (Jn1, 25).
(v.7) « Outos/celui-ci dont on vient de parler » vint pour un témoignage, afin qu’il témoignât du « to phôs/Rayonnement initial), afin que tous croient par lui ».
« Outos/celui-ci dont on vient de parler » est Jean Baptiste. L’identification communion dont il bénéficie sera de l’ordre du « témoignage » qu’il rendra au « to Phôs/rayonnement initial ». Quel est ce témoignage et quel est ce « to phôs » ?
Une fois les généralisations évitées (lumière des astres ou luminaires) pour traduire « to phôs »[15], on évitera également de traduire par « lumière » au sens où cela désignerait la « Sagesse » des grecs qui a pris la place du Mazda perse chez les présocratiques avant Alexandre disciple d’Aristote. Cette sagesse n’a guère été qu’un travesti pour exprimer clandestinement la Torah de Moïse (Si 1,11-27) dans les « nomoi/cantons » de Cyrénaïque et d’Alexandrie où la Torah était tolérée par les grecs[16].
Le « témoignage » demandé à Jean Baptiste en tant qu’ « apestalmenos/missionné-envoyé » en lien avec Moïse ou Elie (et sans être identifié à aucun d’eux ni au « to phôs »), pourrait s’apparenter à une nouvelle révélation prophétique. Elle prolongerait celle d’Elie au Carmel (1R 18) ou à l’Horeb (1R 19) ; celle de Moïse au Sinaï (Ex 19). Mais la Torah n’est-elle pas la Révélation parfaite ? Pourquoi y faudrait-il un « rayonnement » complémentaire ? Dans les livres d’Hénoch ou celui des « jubilés », la « révélation initiale » délivrée par Moïse et Elie, a été en partie retirée sous forme de « livres scellés », à cause du péché[17]. Elle attendait donc une nouvelle révélation soit dans un retour d’Elie enlevé au ciel, soit par la venue d’un prêtre de la tribu de Levi[18] ou le retour d’un prophète comme Moïse (Dt 18,15) ? Dans ce cas, Jean Baptiste pourrait avoir été appelé à témoigner d’un « Rayonnement complémentaire » bien spécifique qui correspondrait à cette nouvelle irruption de la Révélation attendue par sa communauté baptiste pour « ouvrir le livre scellé » (Ap 5.6). Et, dans le contexte d’hostilité entre les prêtres du temple et les prêtres réfractaires du Document de Damas (Cf. note 8), on comprend que les prêtres de Jérusalem soient venus interroger Jean Baptiste pour savoir s’il était Elie ou Moïse ou l’un des prophètes (Jn 1,19-21). Notons, en passant, que là encore, on voit mal le pêcheur fils de Zébédée entrer dans cet argumentaire opposant l’apocalyptique du Document de Damas à la foi officielle des prêtres. Mais encore une fois, n’anticipons pas.
(v.8) (ekeinos/Celui-là) n'était pas le « Rayonnement », mais afin qu'il témoigne du « Rayonnement ».
(Ekeinos/celui-là) : il s’agit de Jean Baptiste. Il n’était pas le « Rayonnement initial » du Logos présent dans la Torah. Etait-il le rayonnement complémentaire attendu d’une ouverture des « livres scellés » et dont il devrait témoigner ?
Sans être l’Agneau, seul digne d’ouvrir le livre scellé (Is 29,11 ; Ap 5, 1-10), Jean Baptiste a à témoigner devant ses fidèles d’une nouvelle irruption de la prophétie, inaugurée par Elie et Moïse mais qui restait « voilée » dans les « livres scellés » à cause du péché des « veilleurs » du livre d’Hénoch ou des anges de Gn 6. Jean Baptiste aura à « témoigner » de son « dévoilement » ou « apocalypse » en sachant qu’il n’en est que le témoin. Lui-même n’est pas le « to Phôs/Rayonnement initial », ni non plus Hénoch, Elie ou Moïse. Il le confirmera en Jn 1, 20 devant les officiels de Jérusalem qui acquiescent (Jn 1,25). En revanche, il témoignera de Jésus comme étant cet « agneau » qui ouvre les « sceaux » (Jn 1,29)[19]. Jésus-Agneau de Dieu ouvrira ces « livres scellés » dans sa prédication, tout en ne baptisant plus lui-même. Ses disciples baptiseront dans l’Esprit Saint, mais cet Esprit Saint du baptême ne sera pas manifesté avant sa mort-Résurrection : « Il n’y avait pas encore d’Esprit parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié » (Jn 7,39). Le baptême dans l’Esprit Saint qu’il annonce n’arrivera qu’après la mort de Jésus comme « Agneau » sur la croix (Jn 1,26.29-33 ; 7,39).
Conclusion 2 sur les v.6-8
La définition de l’identité du baptiste est donc bien circonscrite. Elle oscille entre :
- Un lien d’identification avec Dieu, marqué par son rôle d’ « apestalmenos/envoyé »,
- Une limite due au fait que, bien qu’il « témoignât » d’un certain dévoilement des livres scellés par le péché, il n’est pas « to phôs/le « rayonnement initial », « ni le Oint (David), ni Elie, ni le prophète (Moïse) » (Jn 1,25). La permanence du péché l’amène à prêcher un baptême de conversion, préliminaire à la fin des temps qui, pour lui, est imminente (Lc 3,17).
En Jn 1,19ss, la délégation des prêtres et lévites pose très exactement la question au cœur du problème qui porte sur l’identité du Baptiste. Dans le 4QMMT, il était reproché aux prêtres, adeptes du Maître de Justice, de considérer leur maître comme Moïse ou Elie et donc d’être « blasphémateurs » en confondant l’enseignement du Maître de Justice, simple inspirateur de leur mouvement, avec la Parole de Dieu manifestée dans la Torah[20]. Les prêtres du 4QMMT rétorquaient aux prêtres du Temple que c’était eux les blasphémateurs puisqu’ils ne reconnaissaient pas l’Esprit Saint qui inspirait leur « Maître de Justice ».
Nous sommes ainsi au cœur de la tension entre prêtres du temple et prêtres dissidents dont témoigne le manuscrit de Qumran. Entrer dans ces distinctions subtiles à propos du baptiste suppose qu’on en ait vécu de l’intérieur, les espérances et les conflits avec le temple. Là encore, l’hypothèse d’un prêtre, compagnon de Jésus durant sa période baptiste, est la plus vraisemblable.
-oO§Oo-
Versets 9-13 (tout ce qui n’est pas en caractère gras serait adventice)
(9) (Èn/était) le « Rayonnement initial » le vrai, celui-qui illumine tout homme, venant dans le monde.
(10) Il (èn/était) dans le monde, et le monde (egeneto/fut) par lui, et le monde ne le connut pas
(11) Il vint dans son domaine et les siens ne l'accueillirent pas
(12) Mais à tous ceux qui l'accueillirent,
il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu,
à ceux qui croient en son nom
(13) Eux qui, ni par le sang, ni par la chair, mais de Dieu furent engendrés. »
Bref commentaire des v. 9-13
C’est sur ces versets que porte essentiellement le débat de la pluralité d’auteurs. Seuls les v.11 et 12 font partie de l’épure retenue par Bultmann (1927) et M. Hubaut (2000)[21]. Analysons le texte tel qu’il se présente, au risque de quelques redites par rapport au précédent commentaire des versets 1- 8.
(v.9) « Était « to phôs/le Rayonnement » véritable, celui qui illumine tout homme venant dans le monde... »
Il s’agit donc du « Rayonnement initial » véritable, avant le péché qui l’a « scellé » dans le ciel, et dont Jean baptiste a pour mission de « témoigner ». Est-il si différent de celui que nous avons rencontré au v.5 et 7 ? Rappelons-nous :
- 1 Il ne peut s’agir de « la lumière du soleil opposée à la ténèbre lunaire. Le texte de Gn 1 fait de Mazda, la « Sagesse lumière », la première divinité démantelée par le monothéisme du rédacteur[22]. Puis viendra Marduk, le diviseur de Tiamat en ciel et mer pour que surgisse la terre (déjà dans Is 51,9s). Les deux « luminaires » soleil et lune n’arrivent qu’au v.4 dans le texte de Gn 1, en régulateurs du cycle liturgique de YHWH dans le temple.
- 2 Ce n’est pas non plus la Sagesse grecque, substitut chez les philosophes de la Sagesse-lumière d’Ahura-Mazda[23] ? On serait alors dans l’univers de la Perse, devenu héritage culturel de la Samarie aux IV° et V° siècles avant notre ère ou héritage des « présocratiques » qui se forment à Smyrne ou Babylone jusqu’à Aristote le maître spirituel d’Alexandre. Cet héritage Perse est le lointain parent de la Gnose Valentinienne que Bultmann prête à notre texte.
- 3 Adoptant une lecture juive, il pourrait s’agir d’une irruption apocalyptique du « Rayonnement initial » retenu caché dans le ciel depuis le refus qu’ont exprimé les nations[24]. Retenu « sellé » depuis que le péché en a éloigné la source, Israël ne le connaîtrait que sous son mode pragmatique dans la « halakhah »[25] ?
- 4 Il ne peut pas s’agir du baptiste puisqu’il vient d’être dit qu’il n’était pas le « Rayonnement initial », ni Elie, ni Moïse.
Ces différentes alternatives de sens relatives au « to phôs/Rayonnement initial » recouvrent en partie celles que nous avons émises dans les versets précédents (Jn 1,5.7). Il se pourrait donc que ces versets (Jn 1,9-14) qui traitent du devenir de ce témoignage baptiste rendu au « to phôs », n’ait été perçus comme insertion attribuée à la gnose valentinienne que parce que les précisions que nous avons apportées à partir de la Perse ou de l’apocalyptique, à la différence de la gnose, n’étaient pas encore connues à l’époque de Bultmann (1927)[26].
Ces versets en revanche semblent bien en situation depuis que l’on sait que Gn 1 doit être interprété à la Lumière de l’Avesta et que le judaïsme apocalyptique avait déjà fait dissension par rapport au Judaïsme officiel dès le livre d’Hénoch (à partir du IV° siècle av. J.C), bien avant l’époque des martyrs d’Antiochus Epiphane en -167.
Rien ne nous empêche plus de regarder ces v.9-14 comme description de la vie et des espérances de ceux qui partageaient le dévoilement du « rayonnement initial » pratiqué par leur communauté. Ce « dévoilement » des livres scellés se vivait déjà sous l’égide du maître de Justice dans les mouvements baptistes issus du sacerdoce auxquels appartenait Jean Baptiste après avoir pris distance avec le sacerdoce officiel de son père Zacharie. Le disciple que Jésus aimait pouvait en avoir fait partie lui aussi.
v.10 Dans le monde il était et le monde fut par « autou (m.n.) lui », « Et le monde ne « le/auton(m) » egnô/connut/ pas.
Le monde fut par lui : « Lui », c’est le « Logos/ DaBaR » à l’origine du monde. Et « le monde ne le connut pas » : Il s’agit encore du « Logos/ DaBaR », seul masculin restant en lice puisque le « to Phôs/rayonnement » étant un nom neutre, on aurait « auto » » et non « auton ». Le monde adresse son refus au « Logos/ DaBaR », alors que c’est lui qui a créé le monde. Le « Logos/ DaBaR » « tourné vers le Père », a donc aussi été tourné vers l’homme dans la Torah énoncée par Moïse et Elie. Mais le « monde », et plus seulement Israël, n’a pas reconnu le « Logos/ DaBaR » par lequel il a été créé. La Torah donnée à tous les peuples a été refusée par une partie d’entre eux qui n’ont pas reconnu son origine divine à cause des coutumes ancestrales qui, chez eux, s’y opposaient[27].
v.11 : dans son bien propre il (o Logos/ DaBaR ) advint et les siens ne l’ « auton (m)/« parélabon/ accueillirent » pas.
« Auton » étant un masculin, il s’agit de nouveau du « logos/ DaBaR ». Mais qu’est-ce qui a été refusé et par qui ? S’il s’agit du « Logos/ Da BaR» de la Torah, il n’est pas vrai que les siens, c’est-à-dire Israël l’a refusé. Bien au contraire nous dit la Bible (Ex 24,2 et 7) : à l’énoncé de la Torah Israël a répondu « Nous pratiquerons et nous écouteront ». À quel moment Israël (les siens) auraient-ils refusé d’accueillir la Torah et en quel sens ? Les Sages à l’époque de Jésus n’ont pas peur de dire : « Contrairement aux nations qui ont prétexté de leurs coutumes pour refuser la Torah, c’est parce qu’Israël a dit « na’asseh we nishma’ /nous pratiquerons et nous écouterons » qu’il est devenu le peuple élu »[28]. De fait, si la Parole divine reste la Parole divine, la seule chose qui soit à la portée du fidèle est la mise en pratique. Israël est de fait une orthopraxie plus qu’une orthodoxie. Ce n’est donc pas le « Logos/ DaBaR » de la Torah qui a été refusé par « les siens ».
En revanche, il existait à l’époque de Jésus d’autres courants de pensée ouverts à un retrait de la Torah dû au péché, avec l’espoir de voir un jour tomber ce voile. On en trouve déjà une trace en Is 29,11. Il est difficile de dire ce que Isaïe 29,11 entend par « sepher Hatum/livre scellé » : rouleau scellé, double d’une copie en clair comme en Jr 32,9-14[29] ? Ou, comme dans le livre des Jubilés, « livres scellés[30] » à la suite du « péché des « veilleurs » ayant entraîné le déluge (I Hénoch VI). Au temps de Jésus, les livres, en raison et à la suite du péché des « Fils de Dieu-anges » (Gn 6) sont dits « scellés ». Entre autres péchés d’Israël, bien avant que le récit de Gn. 3 soit interprété comme péché d’origine, le récit du « déluge » se conjuguait avec le péché des « veilleurs » du livre d’Hénoch[31] pour avoir causé le retrait des « livres scellés » dans le ciel. Nous sommes avant la période grecque ouverte par Alexandre, et qui gardera l’idée du retrait du « Logos/ DaBaR » dans les « livres scellés » comme nous les trouvons en Jubilés 3,10. On retrouve la même thématique dans le livre de Daniel[32]. S’il y a eu refus du « Logos/ DaBaR » par les « siens », c’est le refus qui a causé le retrait des « livres scellés » ou le refus de leur future apocalypse, tel que le temple le manifestait vis-à-vis du 4QMMT au temps de Jésus.
v.12 : « Osoi/à tous ceux[33] qui « auton(m)/le » « élabon/reçurent », il leur donna pouvoir de devenir « enfants de Dieu-anges », à ceux qui croient en son Nom.
Ceux qui « le » reçurent : « auton(m)/le » étant un masculin ne peut, de nouveau, viser que le « Logos/ DaBaR ». Ceux qui l’ont refusé quand il est venu « chez les siens », sont les juifs, fidèles à la Torah et au Temple, mais qui ont refusé toute nouvelle irruption du « Logos/ DaBaR » dans le temps. Leur refus a causé le martyr de Yosé ben Yo’ezer ou d’Onias III[34].
À l’inverse, les prêtres qui, comme Jean Baptiste ont rompu avec le sacerdoce officiel de leur père, accueillent un nouveau dévoilement du « Logos/ DaBaR » advenant dans l’apocalyptique en marge du Temple. Ce dévoilement du « Logos/ DaBaR » créateur procure à ceux qui l’accueillent le pouvoir de devenir « enfants de Dieu » ou « anges » Mais qui est concerné par cette apocalyptique ?
À en croire la prédication de Jean-Baptiste chez Matthieu, celle-ci s’adresse aux pharisiens et sadducéens[35]. Ils sont juifs et revendiquent d’être « fils d’Abraham »[36]. Jean Baptiste leur répond que Dieu « peut des pierres que voici faire surgir des enfants à Abraham (Mt 3,9). On reste dans le cadre des « enfants d’Abraham » et donc des sémites.
Chez Luc, la prédication de Jean Baptiste s’adresse aux foules (Lc 3,7) et ces foules incluent des soldats romains (3,14). Les pierres qui peuvent devenir des « fils d’Abraham » rassemblent dans les « fils d’Abraham » tous les « fils de Noé (Gn 6,10) : Sem (Syrie, Assyrie et la lignée aboutissant à Abraham), Cham (Egypte et Canaan) et Yaphet (grecs et romains). On est avant le déluge[37] qui sanctionne la rupture des fils d’Adam avec leur créateur et le retrait des « livres scellés dans le ciel.
Les « enfants de Dieu » chez Jean-Baptiste désigneraient ceux qui acceptent son baptême qu’ils soient juifs ou romains, ils sont « fils d’Abraham (Lc 3,8) et de Noé. » Ce qui signifierait que la prédication apocalyptique de Jean Baptiste est annoncée au niveau des « fils de Noé » : Shem, Cham et Yaphet. Pour Jean-Baptiste Dieu peut donc pardonner le péché qui a amené le déluge. Si Dieu peut le faire, Jean Baptiste peut-il dire « saints » ses fidèles sans être accusés de « blasphème » par le Temple[38] ? Il est clair que, depuis les adeptes de Qumran dans la règle de la communauté (1QS), jusqu’aux adeptes du document de Damas (DC), ceux qui ont participé aux baptêmes de la communauté (1QS II 1-4) sont bénis par les prêtres comme « favorisés de la connaissance éternelle » tandis que le « Lot de Bélial » (ceux qui refusent) est maudit par les lévites (1QS II 5-10). Non seulement cela, mais les « bénis » vivent « en compagnie des anges » avec lesquels ils prennent leur repas qu’ils appellent des « puretés » c’est-à-dire des temps d’accès à Dieu, et qui sont autant d’eucharisties de pain et d’eau en attendant la venue du Messie qui les leur offrira avec du vin[39] (Règle de la communauté XI, 2-9).
v.13 : qui, non par les sangs, ni par la volonté de chair, ni par la volonté d’un homme, mais de Dieu « egennèthèsan/furent engendrés »[40].
Il est bien connu de tout le monde que l’on n’a pas retrouvé de tombes de femmes ni d’enfants dans les cimetières attenant à la communauté de Qumran. On en a trouvé dans les environs, ce qui permet de penser qu’autour de la communauté de Qumran il y avait des sympathisants à leur foi sans pour autant qu’ils vivent la même abstinence sexuelle. Flavius Josèphe en parle dans la description qu’il nous donne des philosophies de ce temps-là[41]. On en aurait aussi un écho dans le « de vita contemplativa » de Philon d’Alexandrie. Mais ce n’est pas notre sujet.
Conclusion 3 (v.9-13)
Le Fils de Zébédée (l’Apôtre Jean) pouvait-il entrer, comme le fait l’auteur du prologue, dans la complexité théologique de ces tensions entre le temple et les communautés apocalyptiques ? Connaissait-on ces tensions dans les milieux « nazôréens » qui avaient peut-être pénétré dans les mouvements baptistes[42] du Jourdain entre la Galilée et le royaume de Philippe. « Le disciple que Jésus aimait », y semble en revanche tout à fait à son aise. On peut en douter. Le disciple que Jésus aimait y semble, en revanche, bon connaisseur de ces tensions qui ne sont pas encore violentes comme elles le seront au temps des martyrs de Jacques et Jean en +44 et aboutiront au rejet de l’apocalyptique à l’assemblée de Yavneh (+85 environ).
-oO§Oo-
Versets 14-18
(14) Et le Logos devint chair,
et il planta sa tente parmi nous
et nous avons vu sa « doxa/Gloire »,
Gloire comme Fils unique d'auprès du Père, rempli de la grâce de la Vérité.
(15) Jean lui rend témoignage et il s'écrie :
"C'était celui dont j'ai dit : celui qui vient après moi est au-dessus de moi,
car avant moi il était".
(16) Oui, de son plérôme nous avons tous reçu et grâce pour grâce
(17) Car la Torah fut donnée par Moïse, la grâce de la vérité advint par Jésus Christ.
(18) Dieu personne ne l'a jamais vu, le Fils unique, Dieu,
qui est tourné vers le sein du Père, celui-là a retiré le voile.
Bref commentaire de 14-18.
(v.14) Et le Logos devint chair,
et il planta sa tente parmi nous
et nous avons vu sa « doxa/Gloire,
Gloire comme Fils unique d'auprès du Père, rempli de la grâce de la Vérité.
La naissance de Jésus est pour l’auteur de cet Evangile, l’incarnation du Verbe, c’est-à-dire sa venue dans la nouvelle arche d’Alliance (sa tente) révélation plénière de sa shekhinah/habitation[43]. La « Kavod/Gloire de Dieu » habitait dans la « tente de la rencontre » (Ex 33, 7-23). La Gloire que ni Elie à l’Horeb, ni Moïse au Sinaï n’avaient pu voir est maintenant dévoilée dans son Fils unique, plénitude de son « Karis/Amour » et de sa « Alètheia/Vérité ». Il est le « to phôs » attendu sans qu’il soit « engendré par les sangs, ni par la volonté de chair, ni par la volonté d’un homme, mais de Dieu »
(v.15) Jean lui rend témoignage et il s'écrie :
"C'était celui dont j'ai dit : celui qui vient après moi est au-dessus de moi,
car avant moi il était".
On revient au témoignage de Jean-Baptiste :
Evidemment, pour ceux qui voient dans les v.9-13 un mode de vie du chrétien qui à la lumière de l’Evangile anticiperait l’Incarnation du Verbe et non une description de son attente de la fin des temps, ce v.15 est un retour en arrière qui reprend à l’identique les v. 6-8. Et ils le suppriment. Mais le v.15 reprend-il à l’identique les v.6-8 ?
Si les v.9-14 parlent de Jean-Baptiste attendant le Messie, la venue du Messie au v.14 va sans doute apporter quelque chose de neuf dans la compréhension de son message. Il est normal que ce message ait changé entre celui qui attendait le Messie comme une fin des temps sans espoir qu’il fasse irruption dans le temps, et celui qui devait tirer de nouvelles conclusion de l’irruption que le « Logos/ DaBaR » a réalisée en entrant dans le temps au v.14. Autrement dit, avant l’incarnation et après l’incarnation le témoignage de Jean a changé et c’est cela que précise le v.15. Le message de Jean baptiste avant et après l’incarnation au v.14 a évolué. En témoignent les quatre Evangiles comme d’une seule voix : (Mt 3,11s ; Mc 1,7s ; Lc 3,16s ; Jn 1,36s ; Ac 1,5) Une telle unanimité dans l’appréciation par Jean de son baptême par rapport à la venue de Jésus est un phénomène suffisamment fort pour dissuader d’en faire un doublet inutile.
Nos concepts linéaires où les termes sont définis d’avance une fois pour toutes par le dogme ou ses « préfigurations » nous ont rendu imperméables à ce genre d’analyse où la foi évolue à chaque nouvel horizon qu’elle découvre. Pourtant il faut pouvoir la mener paisiblement.
Jusque-là Jean-Baptiste était « apestalmenos/missionné-envoyé » pour un « témoignage au sujet du « rayonnement ». Il n’était lui-même ni le « Phôs/rayonnement », ni Elie, ni Moïse ». Après une longue description (v.9-13) du genre de vie et d’espérance de ceux qui attendent le Messie à la fin des temps, cette attente est brusquement croisée par l’annonce de l’Incarnation du Logos (Jn 1,14). Que devient alors l’attente de Jean baptiste et de ses fidèles devant le « Logos » dont on annonce maintenant qu’il s’est incarné ?
(v.15) Jean lui rend témoignage et il s'écrie :
"C'était celui dont j'ai dit : celui qui vient après moi est au-dessus de moi,
car avant moi il était".
Une nouvelle hiérarchie s’établit entre les deux personnages :
Jusqu’ici, Jean baptiste est missionné d’auprès de Dieu ; il est donc prophète (v.6)
Il doit témoigner du « Rayonnement » sans être ce « Rayonnement ».
Il n’est pas non plus Elie ni Moïse qui ont eu part à ce Rayonnement du Logos tourné vers Dieu.
Ce qui change après l’Incarnation, c’est ceci : Jean-Baptiste perçoit Jésus comme « Incarnation du Logos » tourné vers Dieu.
Déjà Jean Baptiste a dit : « Le rayonnement était le vrai qui illumine tout homme venant dans le monde ». Cela, le judaïsme le disait depuis trois siècles : On peut dire que c’est le rayonnement de la Torah donnée à Moïse ou à Elie, antérieur à la création et donné à tout homme. Ce rayonnement originel, faute de réciprocité, a été voilé. Pourtant les fidèles du baptiste en attendent le retour et se préparent à la fin des temps : « La hache est à la racine e l’arbre ». Ils la vivent déjà dans le pardon qui se joue dans le baptême, en communion avec les anges.
Si Jésus incarne cette vie nouvelle au lieu de simplement l’annoncer ou la préparer, Jean baptiste en conclut que Jésus est cette irruption du rayonnement des « livres scellés » (de ce fait Jésus est supérieur à Jean Baptiste). Il doit être avant lui, car le retrait des livres correspond au péché des veilleurs avant le déluge. Se pose quant même la question : Jésus n’est-il que le rayonnement de ce qui était caché dans les « livres scellés » ou est il le « rayonnement » lui-même à la source de ce qui était caché à cause du péché ? Dans ce cas, il serait le « Logos » lui-même, communiqué dans son incarnation. Mais alors, pour que le Logos puisse faire de l’humanité sa « demeure » (eskènôsen/il a fait se demeure), il faudrait que l’homme retrouve son éclat premier de communion à Dieu et pas seulement une guérison et un pardon que le baptême de Jean donnait déjà. Loin d’être un ajout supplétif, ce v.15, autour de la charnière du v.14 révélant l’incarnation, est la clé de la priorité de Jésus sur Jean Baptiste. Ces versets sont donc du même auteur.
La réponse est ébauchée dans le prologue :
(v.16) Oui, de son « plérôma/plein » nous avons tous reçu et « Karis/Amour » pour « Karis/Amour ».
(17) Car la Torah fut donnée par Moïse, la grâce de la vérité advint par Jésus Christ.
(18) Dieu personne ne l'a jamais vu, le Fils unique, Dieu,
qui est tourné vers le sein du Père, celui-là a retiré le voile.
Le voile qui recouvrait les « livres scellés » de la Torah de Moïse est enfin retiré par Jésus qui est à la fois « Amour » et « Vérité de cet Amour » rendus à l’homme. Elle lui est donnée par Amour comme un « dévoilement » offert à son consentement, Amour pour Amour.
Conclusion 4 (v. 14-18)
La finale, des vs. 14-18, donne l’aboutissement de la longue attente des mouvements baptistes aspirant au dévoilement du « Rayonnement initial » de la Parole maintenue cachée par le péché et dont Jean Baptiste a « témoigné » par son baptême de conversion. Ce baptême est prélude au baptême dans l’Esprit donné par celui qui fut son disciple jusqu’à son baptême mais qui doit maintenant le dépasser. Le dépassement des mémoires héritées du baptiste dans son apocalyptique de fin du monde amène un vocabulaire nouveau axé sur la manifestation présente des traits attendus pour la fin des temps : « charisme, plérôme, Gloire ». Ce sont des termes nouveaux par rapport aux versets 9-13 décrivant l’attente. Mais ces termes, aboutissement de l’attente, et qui deviendront le vocabulaire classique des Evangiles, pour nouveaux qu’ils soient dans le texte du prologue, ne sont pas forcément d’un autre auteur. Il n’est pas interdit de penser que si les mémoires baptistes peuvent ne pas être d’un Jean Fils de Zébédée, à moins qu’il ait aussi fait partie des disciples du Baptiste, le vocabulaire de l’incarnation à partir du v.14, entrant dans la patrimoine classique de l’Eglise primitive présent chez Paul, peut venir aussi bien du « Fils de Zébédée » que du « disciple que Jésus aimait ».
Se posent alors les problèmes historiques de la rédaction du prologue :
a) Quelle est l’authenticité textuelle de notre Prologue ?
b) Les termes nouveaux par rapport aux versets 9-13 décrivant l’attente, sont-ils présents chez Paul avant la rédaction des Evangiles ?
a) Quelle est l’authenticité textuelle du Prologue ?
Deux théories principales sont à considérer :
Pour Bultmann (1927) nous avons affaire dans le prologue à un Hymne baptiste autour duquel se sont agglutinés des compléments gnostiques valentiniens[44].
D’autres exégètes diront au contraire que le prologue chrétien s’est vu ajouter les versets baptistes 9-13 qui ne sont pas du même auteur.
On arrive dans tous les cas à la version émise par Michel HUBAUT[45] qui ne garde du prologue que ce que nous avons écrit en caractère gras.
C-B AMPHOUX[46] note que le « Prologue » en tête des « mémoires » johanniques, ne sera attribué à « l’Apôtre Jean » qu’au II° siècle, au temps où les « mémoires des Apôtres » prennent le nom d’Evangiles.
Notons encore deux remarques de C.B. Amphoux : « Le prologue traverse le II° siècle avec une grande stabilité de son texte ». « L’Evangile de Jean est de loin le livre du Nouveau Testament le plus abondamment attesté. Il a deux fois plus de témoins vers 200 que Luc et que Paul »[47].
Il note aussi que Jean, avant 140 y était le second Evangile de la série, placé entre celui de Matthieu et ceux de Luc et Marc. C’est cette tradition ancienne qu’ont connue, avant 140, Justin et Irénée qui la tenaient de Polycarpe, lequel avait connu saint Jean, et avait été leur maître à Smyrne[48], un des berceaux de la tradition persane.
Le Prologue est alors perçu dans cette série comme un Evangile de l’enfance entre celui de Matthieu qui relit l’enfance de Jésus aux harmoniques des écritures sur Moïse et celui de Luc qui relit la même enfance aux harmoniques des écritures sur le Temple. Question : Quelles harmoniques l’Evangile de Jean met-il en œuvre dans le Prologue qui prend sa place entre les deux Evangiles de l’enfance, de Mt et de Lc ?
À la fin du II° siècle, quand Jean deviendra le 4° Evangile, après Mc qui n’a pas (ou n’a plus) d’Evangile de l’enfance, une lecture différente, détachée de l’enfance de Jésus sera alors faite du Prologue.
Conclusion 5 (critique textuelle)
Au vu des données de la critique textuelle, nous ne pouvons nous empêcher de penser que ce prologue doit refléter un moment de la foi de l’Eglise où il pouvait être lu dans son entier, à la charnière entre deux lectures : la lecture aux racines et la lecture récapitulée dans le Christ. Mais il faut alors que les lectures, de part et d’autre de la charnière qui les différencie, respectent la totalité du texte et puissent trouver un écho dans les écrits contemporains de sa rédaction. Notre texte s’adresserait dans ce cas à un lecteur à l’aise dans les deux lectures :
- la première lecture, plus proche de la source des traditions, pourrait voir dans le prologue un témoignage de la vie de Jésus écrit par un prêtre, ancien disciples du baptiste, voire « le disciple que Jésus aimait ».
- Quant à la seconde lecture, la lecture en surplomb, elle adopterait une vision plus récente, marquée par la gnose valentinienne dont Héracléon fournit le premier commentaire vers +160 et que détecte Bultmann pour ne garder que le texte en gras dans le prologue. Mais, plus sûrement, la seconde lecture est marquée par le souci de voir tout « récapitulé dans le Christ » à la manière du diatessaron de Tatien (+170) et des « quatre Evangiles en un » à la fin du II° siècle dans la ligne du philosophe Justin à Rome[49]. C’est cette ligne que suit Xavier LEON DUFOUR dans sont commentaire de l’Evangile de Jean[50].
b) Le vocabulaire du Prologue chez Paul avant +64
Paul est un parfait bilingue au sens que le linguiste Jacobson donnait à ce mot : À savoir : expert dans la langue et dans la culture de cette langue depuis la petite enfance.
Comment le Logos-Dieu est-il « pros ton théon/tourné vers Dieu » chez Paul avant +64.
- Dans le contexte du don de la Torah,
- Dans le contexte de Moïse comme « envoyé »
- Dans le contexte cosmogonique
- Dans le contexte du don de la Torah,
- Dans le contexte de Moïse comme « envoyé ».
« Il a semblé bon à nous, étant d’un commun accord, « exlexamenous andras/ayant choisi des hommes », « pempsai/avoir envoyé » à vous, avec les bienaimés de nous, Barnabé et Paul, hommes ayant livré leur vie pour le Nom de Notre Seigneur Jésus-Christ. Apestalkamen/nous avons envoyé Judas et Silas, et eux par la parole rapportant les mêmes choses ».
Ces derniers, Judas et Silas, faisant partie des « hommes choisis », sont « apestalmenoi/ envoyés », à titre de « témoins », « rapportant les mêmes choses », alors que Barnabé et Paul sont « pemptoi/envoyés » d’un commun accord apostolique. Nous avons-là un nouveau code identitaire correspondant au SHaLiaH/envoyé. À côté de Judas et Silas envoyés comme témoins, il y a Paul et Barnabé, mandatés par le conseil des douze.
Quoi qu’il en soit de cette lettre du conseil des douze à Jérusalem, c’est aussi, dit Paul dans sa seconde lettre aux Corinthiens, la fidélité de l’Eglise de Corinthe qui garantit son identité. C’est une lettre « écrite dans le cœur » (2 Co 3,2), et elle atteste de l’appel de Paul en tant qu’Apôtre. Si comme le dit Paul en 1 CO 6 l’Eglise est le corps du Christ, il tient aussi son identité d’Apôtre de cette lettre « écrite dans le cœur » de son Eglise.
De sorte que Paul est « apôtre » à plusieurs titres :
- Au titre de l’appel du Christ au chemin de Damas. Paul a reçu sa mission d’Apôtre de Jésus à Damas, comme les douze ont reçu la leur, sans lettre, par un appel du vivant de Jésus.
- Au titre de la lettre du conseil de Jérusalem. Ce sont ces même « douze » à qui Jésus a tout remis, qui ont confirmé l’appel de Paul et Barnabé par une lettre (Ac 15,23) dont Judas et Silas peuvent témoigner qu’elle émane bien du conseil des douze.
- Au titre de l’Eglise de Corinthe et de sa lettre « dans le cœur »
Mais il faut aller plus loin encore dans les harmoniques de ce titre de « SHaLiaH/envoyé ».
Voilà l’argumentaire de Paul : Jésus lui-même était « shaliah/envoyé » par le Père. Sa qualité de « Shaliah/envoyé » du Père, déjà présente pour Moïse (Cf. Sifra et ARN), dépasse infiniment celle de Moïse[55]. En effet, « si la gloire de Moïse – qui n’était le shaliah que d’une vision passagère – a été entourée d’une telle Gloire que le peuple ne pouvait regarder sans voile le visage de Moïse, par peur d’en mourir, quelle doit être la gloire de l’ « apostolos/SHaLiaH » qui a vu dans le Christ l’aboutissement de ce que Moïse n’entrevoyait que comme des prémices passagères » (2 Co 3,7-11). Depuis la venue de Jésus, « apostolos/SHaLiaH » de la Gloire du Père, l’apôtre est celui qui, le visage découvert et non plus voilé comme celui de Moïse, « réfléchit, comme en un miroir, la « Gloire de Dieu », en Celui en qui la révélation de la « Gloire » réside comme en son aboutissement, le Christ (2 Co 3,11). Et l’apôtre en est métamorphosé « apo doxa eis doxan /de la Gloire vers la Gloire... » (2 Co 3,18)[56]. On retrouve ici, à propos du Ressuscité, l’habitation de la « Doxa/KaVoD/gloire » qui dans le Prologue, était dite du Jésus incarné (Jn 1,14). Et la Gloire de l’apôtre tient au fait qu’il est le reflet de cette « Gloire » pleinement exprimée sur le visage du Christ, depuis sa naissance jusqu’à sa résurrection. Elle est exprimée « de gloire en gloire » (2 Co 3,18) sur le visage de l’Apôtre. Cette nuance entre la plénitude de Gloire de Jésus et la Gloire progressive de l’Apôtre marque la différence entre Jésus et l’apôtre.
- Dans le contexte cosmogonique
Et, comme Jean le fait dans son prologue empruntant à Gn 1, Paul ajoute au processus de sanctification dans le Christ qu’il décrit, la dimension cosmogonique. Il conclut son texte par ces mots : « Et le Dieu qui a dit : que du sein des ténèbres brille la lumière (Gn 1,3), est celui qui a brillé dans nos cœurs pour y faire resplendir la connaissance de la Gloire qui est sur la face du Christ » (2 Co 4,6).
Conclusion 6 (Le Logos dans le langage de l’Eglise primitive et de Paul)
Nous avons trouvé ces caractéristiques du Logos paulinien dans les occurrences de l’Evangile de Jean où le Logos a le sens fort. Il y est présent dans le prologue au sujet de Jean Baptiste appelé « apestalmenos/missionné » pour rendre témoignage. Il est alors supposé que le « shaliah » est de type « retour de Moïse » ou « retour d’Elie », les seuls à être gratifiés du titre de Shaliah de YHWH dans le judaïsme. Et Jean Baptiste refuse à la fois d’être Elie et Moïse, comme il refuse d’être le « Rayonnement » (Paul dirait le « Miroir ». Il n’en est que l’ « apestalmenos/missionné » comme « témoin ».
Nous avons fait ressortir dans notre résumé du développement paulinien, antérieur aux Evangiles synoptiques, une série de thèmes qu’il a en commun avec le Prologue. Nous en tirons les remarques suivantes :
- Si les mots « grâce » et « plérôme » sont plus fréquents chez Paul que chez Jean, le « Logos » du prologue est bien représenté dans les deux documents de Paul (où le Logos revient 52 fois dans les grandes épitres et 20 dans les pastorales). Le reste de l’Evangile de Jean en compte 40 occurrences.
- On remarque aussi que le Logos est « tourné vers Dieu (pros + accusatif ton theon)» dans le Prologue (Jn 1,2) comme Moïse est tourné vers Dieu dans la tente de la rencontre évoquée par 2 Co 3,16 (pros + accusatif Kurion = YHWH).
Conclusion d’ensemble
Le IV° Evangile nous étant parvenu comme un tout, doit rendre compte d’une époque où il se lisait comme un tout, ce que la tradition a fidèlement maintenu. Le Père Joseph Le Minh Thong l’a rappelé magistralement durant le colloque. Lire cet Evangile comme un tout se fait depuis le II° s, époque où les « mémoires des apôtres » ont été attribuées à chacun des Evangélistes que nous connaissons. Le papyrus P 66 atteste de l’attribution à Jean du quatrième Evangile. C’est évidemment notre lecture dans la foi.
Bien sûr, le texte écrit en grec draine avec lui la philosophie grecque de notre culture chrétienne. Il n’est pas évident qu’il reflète le sens qu’il avait pour les auditeurs juifs de Jésus qui parlaient un « grec-hébreu-araméen » comparable à notre « franglais ».
Nous sommes alertés sur ce problème dès les deux premiers versets du Prologue.
(1a) « En archè/BeReSHit/Au commencement » était le « Logos (?) »
(1b) et le « Logos/DaBaR » était « pros ton Théon/tourné vers le Dieu »
(1c) et « théos/dieu » était le « Logos ».
(2) Celui-ci était « En archè/au commencement » « pros ton théon/tourné vers D ».
Devant le verset (Jn 1,1a) l’auditeur de Jésus, trilingue amateur, est perplexe : En grec le Logos, au commencement, est calqué sur la LXX, Pr 8 Si 24 et désigne la Sagesse préexistante et créatrice. Elle se retrouve dans le targum sous le nom de « Memra ». Le mot grec traduit le mot hébreu « DaBaR» avec la multitude de sens que lui offre la racine trilittère hébraïque DBR. Le v.1b doit donc éclairer notre bilingue sur le sens voulu par l’auteur. Il connaît assez le grec pour lire l’Evangile qu’on lui sert en cette langue : o logos èn pros ton théon/le « DaBaR» était « tourné vers Dieu » (pros + accusatif de mouvement)[57]. Ce verset dit le statut du « DaBaR» en Dieu. Depuis Ezéchiel cette Parole est créatrice (Ez 12,25.28). C’est le « DaBaR /code » par lequel Dieu parlait à Moïse et par lui au peuple (Ex 34,35). Ce « DaBaR /code » adressé à Moïse, est aussi créateur. C’est ce que précise, après Ezéchiel, le troisième membre du v.1 disant que le « DaBaR /code » était « Dieu ».
Mais le « DaBaR /code », tout en étant Dieu, reste « tourné vers Dieu » dans son adresse aux hommes. La cohérence est parfaite : Le lecteur grec du « Logos tourné vers Dieu » retrouve le « DaBaR /code », tourné vers Dieu et tourné vers le monde, comme l’était Moïse quant il parlait à Dieu dans la tente de la rencontre (Ex 34,35). Notre bilingue retrouve sa double culture.
En revanche si, pour des raisons théologiques, nous traduisons (1a): « Et « la Parole » ou « le Verbe » était « auprès de Dieu », plus besoin de dire qu’il était Dieu puisque, faute d’avoir vu que « pros/vers » est suivi d’un accusatif de mouvement, le « DaBaR/Logos » ne bouge pas d’auprès de Dieu. La précision n’est indispensable que si, tout en disant que le « DaBaR/code », est tourné vers Dieu en même temps que tourné vers le peuple, on dit aussi qu’il était Dieu comme origine de ce double mouvement du « DaBaR/code » vers Dieu et vers les hommes. Le v.2, après cette identification du Logos à Dieu, n’est plus une redite ou un doublet inutile, il reprend le fil du mouvement du DaBaR /code sinaïtique qui, comme Moïse, était tout à la fois tourné vers Dieu et vers son peule.
Le lecteur bilingue devait savoir gré au rédacteur du quatrième Evangile de lui avoir évité les confusions en noyant d’avance le DaBaR /logos/Verbe dans une trinité prématurée.
La suite du prologue au v.6, confirme cette première alerte. Au v.6, Jean Baptiste est présenté comme « apestalmenos ». Faut-il traduire par « missionné » un terme qui désignera les « apôtres »? Mais Jean Baptiste ne fait pas partie des douze apôtres. On traduira donc simplement par « envoyé ». Il l’est, pour témoigner de « to phôs/le rayonnement ». Si, de nouveau, nous anticipons théologiquement ce témoignage à « to phôs » comme témoignage rendu au Christ dans son combat avec la ténèbre, voici que Jean-baptiste serait un apôtre et le Christ serait refusé avant de s’être incarné. La manifestation refusée du « to Phôs/ rayonnement » dont témoigne le baptiste doit donc correspondre à autre chose : au refus de la communion avec Dieu (Jn 1,5), suite au péché Gn 6 ou Gn 3) et dont le pardon est attendue dans l’espérance des baptistes connue par Qumran. Ce n’est le refus prématuré du Christ que dans une vision théologique postérieure.
Et l’on arrive ainsi aux v.9-13
Le « to Phös/rayonnement » créateur du monde, communiqué à Adam (tout homme) en Gn 1, faisait de lui l’Image de Dieu. Ce « to Phôs/Rayonnement » a été refusé (Jn 1,9s). Le « Rayonnement » initial vint en son domaine (Sion), et les judéens du temple ne l’ont pas accueilli (Jn 1,11). Mais à tous ceux qui l’accueillirent, scellé dans les « livres célestes » ou le monde des visions d’Hénoch et attendu dans la tradition « essénienne » ou baptiste, il a donné pouvoir d’être « enfants de Dieu/au milieu des anges » ; ce sont ceux qui croient au Nom au-dessus de tout Nom et attendent de cette foi le retour à la fécondité virginale qui a fait naître Adam de rien (2M 7). Suit alors, dans la même fécondité virginale, la naissance du Verbe. On arrive spontanément au v.14 : « Le Logos s’est fait chair ».
On comprend, dès lors, pourquoi ce prologue a pu être un des tout premiers Evangiles de l’Enfance. Mais la double lecture de ces versets 9-13, lecture qumrâniennes visant les fidèles en attente de l’Incarnation et lecture chrétienne déchiffrant déjà le Christ dans cette attente, n’était accessible qu’aux bilingues. Pour les lecteurs grecs, on pouvait, certes, attribuer les v.9-13 aux Logos-christ avant son incarnation, mais à la condition de mettre au singulier le v.13, contre les meilleurs manuscrits. On peut encore le faire après les découvertes de Qumran, mais c’est en sacrifiant le sens historique conforme aux plus anciennes formulations de la foi au Verbe Incarné présentes chez Paul avant +66.
Venons en maintenant à la place du prologue dans l’ensemble du IV° Evangile. L’unique fête de Sukkot qui soit présente au cœur des Synoptique (Mc 9 et //) se présente comme dialogue transfiguré avec Elie et Moise, prélude à la montée à Jérusalem et à la croix. Cette simplification du calendrier liturgique juif s’imposait à l’étranger. En revanche, notre quatrième Evangile, avec ces trois cycles de « Sukkot-Pâques », représentait un évangile autochtone ayant pu ainsi garder l’essentiel de sa saveur originelle centrée sur les fêtes de Sukkot et Pâques.
Premier cycle : Ch 1 Prologue, Cana (eau de Siloé transformée en vin), Vendeurs chassés du temple en clôture de la fête de Sukkot en Za 14 et prélude à l’envoie en mission (Jn 4). La première fête de Sukkot avec ses vendeurs chassés, n’est plus que le prélude à la passion chez les synoptiques (Jn 3,14).
Deuxième cycle : Bethesda (les trois clefs d’Elie en Shabbat) et reprise des trois clefs dans le discours qui suit au ch.5. Puis, Pâque : multiplication des pains et marche sur les eaux (Jn 6).
Troisième Cycle : la fête aux derniers jours rejoint plus ou moins les synoptiques.
La nouveauté de la présentation des fêtes draine avec elle une culture liturgique ignorée des synoptiques. Ce fond liturgique donne à bien des termes grecs un substrat ignoré des synoptiques. Ceci n’est pas entièrement vrai chez Matthieu dont le grec, traduit de l’araméen, garde l’essentiel de la saveur juive relative à Moïse. C’est évident dans ses évangiles de l’enfance et son sermon sur la montagne (Mt 5-7). Luc aussi, baignant dans la « Quelle » (source commune à Mt Lc et absente chez Mc) a pu avoir contact avec des sources juives qui transparaissent en particulier dans sa tradition sur Elie, que ce soit, là encore, dans ses Evangiles de l’enfance ou ses récits de miracles repris de la geste d’Elie. Il reste que c’est auprès du IV° Evangile que nous avons, dans un grec populaire simple, l’essentiel de la culture juive liturgique, accessible à un auditoire bilingue autochtone.
Et nous arrivons à la question de l’auteur.
Raymond BROWN est un des premiers à avoir mis en évidence les sources juives du quatrième Evangile, sans que jamais la mise en présence de la double culture des sources ne gomme les apports de la foi.
Comme le dit très bien le Père Joseph Le Minh Thong, le « caractère composite du texte » dans ce que nous pourrions appeler les « retours sur mémoires » ou relectures du triple cycle de fêtes (Jean) pour n’en garder qu’un (synoptique), invite à accepter une pluralité d’auteurs. Elle est perceptible dans la double conclusion de l’œuvre (Jn 20,30 et 21,24s) ou les deux « retours sur « mémoires » (de 7,53 à 10-42) et de (14,31 à 18,1). Elles peuvent toutefois être une reprise par le même auteur à une époque d’édition plus tardive sans que rien ne puisse en décider formellement[58],
Que dire à partir de là dans le débat sur Jean « fils de Zébédée » ou « disciple que Jésus aimait ». Avoir un bateau à la frontière entre la Galilée et la Traconitide dénotait un certain statut social et peut-être des liens avec le clan « nazôraios/nazôréen » (Ac 2,22) de Galilée. Jean et son frère, fils de Zébédée, étaient-ils liés suffisamment aux querelles pour ou contre le temple qui alimentaient les débats des sectes baptistes (Cf. le Document de Damas) pour occuper auprès de Jésus les postes de « témoin authentique » (Jn 21,24), de disciple à la Transfiguration (Lc 9,35s), d’Apôtre (Lc 6,14 et //), de familier du Grand prêtre (Jn 18,15) ou de gens bien en place comme Nathanaël (Jn 1,45) et Nicodème (Jn 3 et 19,39)? Ce n’est pas impossible.
Hypothèse : Si Jean Fils de Zébédée est martyr avec Jacques en 44, le « disciple que Jésus aimait » (Jn 21,20) prêtre (?), compagnon et témoin des années baptistes de Jésus (3,22-36) prend le relais de Jean « fils de Zébédée » et de la « Quelle » de Mt et Lc, et écrit dans un cycle liturgique autochtone les souvenirs les plus reculés sur Jésus et son approche du Baptiste. L’auteur des « retours sur mémoires » peut être le même à une date ultérieure et pas forcément après +85 comme semble le suggérer l’épisode de l’aveugle-né (Jn 9,22) attribuant aux parents la crainte qu’inspiraient aux chrétiens, les mesures d’excommunication que, vers +85, les « judaïoi/Judéens ? Juifs de Yabné ? », avaient formulées dans la « birqat haminim/bénédiction des exclus ». Les chrétiens ne pouvaient plus réciter les 18 bénédictions inhérentes à la liturgie synagogale et s’en trouvaient exclus.
[1] Cf. R.E. Brown : Que sait-on du Nouveau Testament Bayard 2.000 pp. 39-51
[2] L’Évangile de Jean suit le calendrier des fêtes juives qui, en Palestine, sont réparties sur trois ans. Les Évangiles synoptiques suivent au contraire le calendrier babylonien réduit pour l’étranger à une année.
[3] HUBAUT Michel, Rédactions et réceptions du Prologue dans GRAPHÈ. Centre de recherche de l’Université Charles de Gaulle - Lille 3, 2001, p.37s.
[4] Le genre des mots s’écrira : m.=masculin ; f.=féminin ; n.=neutre ; s.=singulier ; pl.=pluriel.
[5] Nous appelons « monothéisme d’Amour créateur » le monothéisme particulier à la Bible. Les Perses, à Babylone (-538), ont un polythéisme qui englobe tous les dieux dans la Sagesse d’Ahura-Mazda, lequel intègre aussi les multiples dieux de ses conquêtes. Isaïe (ch.45) lui opposera un Amour d’Alliance devenu seul créateur du ciel et de la terre. Il faudra éviter de confondre Gn 2.3, de facture plus ancienne, pré-monothéiste, avec la Création en Gn 1 à laquelle le Logos du prologue johannique fait allusion.
[6] Le « Memra/Parole » de YHWH qui, souvent en araméen, traduit le tétragramme YHWH lui est généralement identifié et prend souvent sa place dans le Targum. Cf. Dictionnaire Marcus Jastrow au mot Memra.
[7] Pierre LECOQ, Les livres de l’Avesta, Cerf 2016 p.141s. Cette possibilité laissée au texte sera fermée en 2M 7,28 en lien avec la résurrection des morts, où Dieu est dit pouvoir faire d’un mort un vivant comme il a fait un monde « ouk ex ontôn/non à parir d’étants », (un chaos primordial), mais à partir de rien.
[8] L’absence d’article en grec ne permet pas de traduire « la vie ».
[9] Le Logos a donné la vie de la Torah à tous les peuples, mais beaucoup ont trouvé dans leurs coutumes excuses pour ne pas écouter la Parole. Cf. Jacques BERNARD Torah et culte du temple chez les rabbins, confessions divergentes, MSR (mélanges de sciences religieuses) Lille Janvier-Mars 1997, p.37-71.
[10] Ne pas confondre avec l’onde rémanente du « big bang ».
[11] Pour comprendre le Document de Damas (Pleiade, Ecrits intertestamentaires p.141ss). On en trouvera une analyse dans : Jacques BERNARD, Pour lire 4QMMT, dans « Le Judaïsme à l’aube de l’ère chrétienne », Lectio divina 186 Paris, Cerf 2001 p.63-94.
[12] En Ex 3,10-15 LXX, on a cinq fois le terme apostello (dont une fois exopstello), suivi de la préposition pros+acc pour désigner le destinataire de l’envoi. Ce mot correspondant à l’hébreu Chalah pour dire « envoyer ».
[13] Pour une étude plus complète de cette tradition juive et de sa bibliographie scientifique : Jacques BERNARD, Le « Shaliah », de Moïse à Jésus-Christ et de Jésus-Christ aux apôtres, La Vie de la Parole (Mélanges Pierre GRELOT) p.409-420. Nous reviendrons à plusieurs reprises sur ce terme pour lequel il sera bon de garder cet article en mémoire.
[14] BTa’anit 1a ; Mekhilta (Horowitz) ad Ex 3,9-14.
[15] Il ne peut s’agir de la lumière du soleil (Cf supra, v.5). Il ne s’agit pas non plus de Mazda la « lumière-Sagesse » des perses qui n’est plus qu’une créature du Logos en Gn 1,3.
[16] On évitera donc également de traduire le « Nomos » par « loi » comme on le fait habituellement. Le « Nomos/canton » désigne le canton où la Torah était tolérée et, par extension, le « code » pratiqué dans ce canton. Nous garderons donc le mot « Torah/enseignement » pour désigner l’héritage de Moïse et Elie et éviterons le mot « Loi » qui dans la conception occidentale du terme est un contresens.
[17] Cf. Livre des Jubilés 3,10 dans La Bible, Ecrits intertestamentaires Gallimard 1987 p.648 note 10. Il suffira à notre lecteur de consulter l’index de la Bible « Ecrits intertestamentaires » au mot « lumière » pour constater l’usage très différencié qui est fait de ce terme dans le judaïsme apocalyptique.
[18] Testament de Levi XVIII, dans La Bible, Ecrits intertestamentaires Gallimard 1987 p. 854. Y sont développées plusieurs thématiques que nous retrouvons en final de notre prologue. La note sacerdotale de cette référence à la lumière cachée révélée par le prêtre nouveau conviendrait bien à un baptiste qui, comme chez les fidèles du document 4QMMT, serait aussi un prêtre (Cf. Jacques BERNARD, Pour lire 4QMMT, dans Le Judaïsme à l’aube de l’ère chrétienne, LECTIO DIVINA 186, Cerf 2001, p.63-94). Ce qui conviendrait à l’origine sacerdotale perceptible chez le « disciple que Jésus aimait » et qui serait alors un compagnon des jeunes années baptistes de Jésus.
[19] Dans le bestiaire du livre d’Hénoch, la communauté qui accueillera la révélation nouvelle sera appelée les « agneaux blancs » (I Hénoch 90,6). Lun d’eux sera martyr (90,7).
[20] Dans le 4QMMT les prêtres de Jérusalem reprochent aux adeptes du Maître de Justice de regarder la révélation de leur maître comme revêtue de la même autorité spirituelle que l’Ecriture elle-même et donc d’être en cela des « blasphémateurs », c’est-à-dire de s’en prendre à la Torah et au Temple. Cf. J.BERNARD, le blasphème de Jésus, Ed. Parole et Silence 2007 p.373-401.
[21] Michel Hubaut, op.cit. (note 3) Graphe p.37
[22] Mais ceci suppose connue la publication récente des textes de l’Avesta et la lecture renouvelée des textes de Gn 1 qu’elle permet.
[23] Pierre LECOQ, Les livres de l’Avesta, Cerf 2016 p.131-150.
[24] Cf. « Les livres scellés » (Jubilés apocalypse de Jn) Nous y reviendrons dans une présentation rapide du livre des Jubilés ou d’Hénoch.
[25] La position du judaïsme normatif est assez claire à ce sujet : Israël invité à l’obéissance à la Torah répond « Toutes les lois qu’a décrétées YHWH, nous les mettrons en pratique (Ex 24,3) et, en Ex 24,7, c’est encore plus clair : « na’asseh we nishma’/faisons et écoutons. » Si la compréhension du texte sacré peut échapper dans son origine divine, les dispositions pour sa mise en pratique sont données sur cette terre et doivent pouvoir être comprise appliquées selon le sens commun ou, à défaut, selon la décision majoritaire des sages.
[26] Il resterait à analyser les critères de la poésie grecque. Mais pourquoi les privilégierions-nous si ces versets, déclarés adventices, reflétaient la pensée des baptistes affiliés à leur prophète ? Les critères littéraires ne seraient plus les mêmes ! Il y aurait risque de pétition de principe.
[27] J.BERNARD, Torah et culte du Temple chez les rabbins, confessions divergentes, (Mélange de sciences religieuses, MSR Janvier Marc 1997 p.45-51. Les Amalécites, gens de guerre, n’ont pu accepter « tu ne tueras pas », les Moabites, né de l’inceste au temps de Lot, n’ont pu accepter « tu ne forniqueras pas » etc.
[28] Mekhilta de Rabbi Ishma’el : sur Ex 24,2 et 7.
[29] Il se pourrait que cet oracle d’Isaïe 29,11 soit une relecture du troisième Isaïe dans le premier, avec le sens apocalyptique qui en résulterait et pas seulement une condamnation des autorités politico-religieuses du temps d’Achaz deux siècles avant.
[30] Bible Ecrits intertestamentaires, Gallimard 1987 : Livre des Jubilés 3,10, note p. 648s. Les « livres scellés » y sont si souvent mentionnés (on en trouve les occurrences principales dans cette note) que quelle que soit la distance entre la version canonique éthiopienne et l’original grec, ce thème ne peut être fortuit.
[31] La lumière promise en Hénoch V pour les justes est perdue par le péché des « veilleurs » en Hénoch VI.
[32] Cf. Introduction à l’Ancien Testament, Labor et Fides, Paris Cerf 2009 Christophe Nihan Apocalypses juives p. 676 à 684. On pourra lire aussi : Daniel BOYARIN, Le Christ Juif Paris, Cerf, 2013 pp.34-36
[33] Le pluriel est attesté dans la plupart des manuscrits : le singulier de quelques versions latines ou syriaques font une lecture qui applique ce verset à l’engendrement éternel du Logos ou encore à conception virginale.
[34] Jacqueline GENOT-BISMUTH, Le scénario de Damas. Jérusalem hellénisée et les origines de l’Essénisme Paris De Guibert, 1992 p.250-258.
[35] Les pharisiens acceptent la résurrection mais pas les Sadducéens.
[36] Les généalogies sacerdotales de la Genèse font remonter tous les hommes à Adam mais ne sont fils d’Abraham que les fils de Shem (Arpashad, Assyrie, Araméens) et non les fils de Cham (Egyptiens et cananéens) ni les fils de Yaphet (grecs et romains). Si, chez Mt et Lc, le Baptiste accepte des romains comme fils d’Abraham c’est qu’il fait remonter les généalogies à Adam ou a Noé (comme Ac 15, 19-21) et non plus aux seuls fils de Shem.
[37] Chez les synoptiques, la prédication de Jean-Baptiste aux fidèles qui le visitent dit : « Engeance de vipères...Dieu peut faire de ces pierres des fils d’Abraham (Mt 3,9 ; Lc 3,8). Chez Matthieu cela s’adresse aux pharisiens et sadducéens (Mt 3,7). Chez Lc (qui écrit aussi Ac 15, 19-21 de la Torah noachique), la prédication du Baptiste s’adresse aux foules (Lc 3,7).
[38] Comme l’était le « maître de Justice » dans le 4QMMT. J.BERNARD « le Blasphème de Jésus » op.cit.p.160-182.
[39] Règle annexe de la communauté, II 1-22, Pléiade, Bible Ecrits Intertestamentaires, p.51s. C’est sans doute ce qui se célébrait dans les « pentacontades » au temps de Philon d’Alexandrie contemporain de Jésus. Philon d’Alexandrie, De vita contemplativa, Dernière partie et dans la règle annexe de la communauté : Bible, Ecrits intertestamentaires, pp.50-52.
[40] Dans une lecture chrétienne le texte a été amendé. Le pluriel du v.12 « à tous ceux qui le reçurent » visant les adeptes du baptiste, est relu au singulier : « à celui qui le reçut » visant cette fois Jésus. La suite se poursuit dans la ligne de cette relecture chrétienne : « il donna pouvoir de devenir enfant de Dieu, à eux qui croient en son nom qui, non par les sangs ni par la volonté de chair, ni par la volonté d’un homme, mais de Dieu furent engendrés ». Les versets 12 et 13 appuieront alors la naissance virginale de Jésus.
[41] Flavius JOSEPHE, LOEB, Antiquités, XIII, 171
[42] « Les mouvements baptistes » J. Thomas Gembloux Louvain 1935.
[43] L’expression « mishkan/demeure » pour désigner la présence de Dieu dans son sanctuaire revient plus de 40 fois en Ex 25 à 40. L’assurance donnée par YHWH lui-même de sa présence dans l’arche est donnée en Ex 25,8 ; 29,45s. Cette conviction traverse toute l’histoire écrite d’Israël : 1R 6,13 ; Ez 43,9 ; Za 2,14s ; Za 8,3. « Il y a fait habiter son Nom » est une formule récurrente pour dire la présence de Dieu dans son sanctuaire.
[44] D. Rudolf Bultmann, Das Evangelium des Johannes, Göttingen ; Vanderhoeck & Ruprecht 1959 16 Auflage p. 26-57.
[45] HUBAUT Michel, Rédactions et réceptions du Prologue dans GRAPHÈ. Centre de recherche de l’Université Charles de Gaulle - Lille 3, 2001, p.38.
[46] AMPHOUX Christian-B, GRAPHÈ n° 10 Prologue de Jean. pages 1-34
[47] AMPHOUX op. cité. p.12s.
[48] Smyrne au Sud d’Ephèse est aussi le lieu où se sont formés à la pensée perse les auteurs grecs dits présocratiques. Vers +160, Jean devint l’Evangile de l’Ecole gnostique de Valentin. Héracléon en rédige alors un premier commentaire. D’où la thèse de Bultmann qui voit en 9-14 un récit gnostique.
[49] AMPHOUX op. cité. p.12.
[50] Xavier Léon-Dufour, Lecture de l'évangile selon Jean, coll. Parole de Dieu, Paris, Seuil, tome I, chapitres 1 à 4, 1987, 441 pages -tome IL chapitres 5 à 12, 1990. Le troisième livre (13-fin) déborde les limites de cet article.
[51] J.BERNARD, Le Shaliah...Mélanges Grelot, Desclée p.419
[52] On voit bien ici la difficulté qu’il y a dans le titre de « Apestalmenos/SHaliaH » quand SHaLiaH signifie « DoMeH Li SHeLuHo/identique à celui qui l’envoie ». S’il s’agit bien d’un partage d’identité, s’agissant de Jean Baptiste, le titre orientait le partage d’identité vers le rôle de « témoin ». Dans le cas de Paul et du Sanhédrin qui lui donne pleins pouvoirs pour sa mission, le partage d’identité pourra se traduire approximativement en français par « mandataire ». Dans le cas des disciples de Jésus ou des douze, le partage d’identité se traduira par « apôtre ».
[53] Nous parlons du courant de pensée juif « apocalyptique » très répandu à l’époque de Jésus et non du style littéraire « apocalypse » (Daniel, Zacharie etc.) somme toute assez rare à la même époque. Cf. Apocalypticism in the Dead Sea Scrools, John J. COLLINS, Routledge, 1998, p.8. On retrouve la déchirure entre ce courant officiel et le courant apocalyptique dans Baba Metzia 59b : Rabbi Eli’ezer ben Orkanos s’appuie, dans la discussion, sur les signes du ciel ; rabbi Jehoshua lui oppose l’opinion du judaïsme qui devient officiel : « La Torah n’est pas dans le ciel, elle se décide à la majorité ». Rabbi Eli’ezer sera excommunié et fondera l’Ecole de Lod et Rabbi Jehoshua se rattachera à l’Ecole de Yavné et de Rybaz (rabbi Yohanan ben Zakai) dont l’assemblée amènera l’exclusion de l’apocalyptique vers 85 Cf GILAT : Rabbi Eli’ezer ben Orkanos (En anglais). On pourra aussi consulter la bibliographie sur la « birkat ha minim » qui amenait les chrétiens, ne pouvant plus réciter les 18 bénédictions sans s’exclure de la synagogue, à renoncer à son culte.
[54] Daniel BOYARIN La partition du Judaïsme, Cerf Collection Patrimoines, 2011. Du même auteur : Le Christ Juif, Cerf 2013.
[55] Cf. note supra : Aboth de rabbi Nathan, A, 1 ; Cf aussi Sifra behuqotai, par.13, fin
[56] On prêtera attention à l’erreur de traduction fréquente dans les versions française de 2 Co 3,16. Il ne faut pas lire : « C’est quand on se tourne vers le Seigneur (Christ) que le voile tombe ». La version grecque de Kurt Aland prend soin de mettre cette phrase en caractère gras pour bien montrer que c’est une citation de l’Ancien Testament. En effet, si « on » était sujet du verbe « se tourner », la grammaire grecque exigerait une forme au pluriel et non le singulier. Il faut donc préférer « il se tournait ». D’autre part, dans une citation de l’Ancien Testament, Kurios est toujours la façon dont les LXX traduisent YHWH. Il faut donc traduire : C’est « quand Moïse se tournait vers YHWH qu’il retirait son voile » (Ex 34,34s). Jésus est ainsi le visage de YHWH reflété sans voile et l’apôtre de Jésus est, dans l’Esprit, le reflet progressif « de Gloire en Gloire » de ce visage du Père, est vu en « miroir » et non plus « voilé » sur le visage du Christ.
[57] Le ICC (International Critical Commentary) traduit correctement « towards God/tourné vers Dieu »..
[58] Même en ce qui concerne Jn14,5 à propos de l’absence d’interrogation au sujet de la destination de Jésus contredite par Jn16,5. Le second terme étant formulé dans un « retour sur mémoire », la pensée et la formulation peuvent avoir progressé.