Bernard d’Espagnat, ancien directeur du laboratoire de physique théorique et particules élémentaires de l’université d’Orsay, a enseigné la philosophie des sciences à la Sorbonne et fut le premier théoricien en poste au CERN à Genève.
Jean staune : Qu’est-ce qui vous a amené à la physique ? Bernard d’Espagnat : Dès mon adolescence, j’ai été intéressé par les problèmes philosophiques. Je voulais comprendre le monde. Mais pour cela il ne suffisait pas d’étudier ce que les Anciens avaient dit à son sujet. C’est pourquoi, ayant étudié à la fois les mathématiques et la philosophie, je me suis ensuite orienté vers la physique. Après Polytechnique, je suis parti étudier avec Fermi à Chicago, puis avec Bohr à Copenhague, avant de devenir le premier physicien théoricien en poste au Cern, à Genève, en 1954. Votre vision du monde vous a-t-elle été donnée par vos recherches ? Pas totalement. J’avais, comme tout le monde, une vision de départ. Mais j’étais soucieux de la mettre à l’épreuve des données objectives. Elle n’était pas mécaniciste, mais si j’avais découvert que le mécanicisme était une bonne vision des choses, j’aurais totalement abandonné ma vision première. Car, en tant que scientifique, si l’évolution des connaissances dément mes conceptions, je suis prêt à les abandonner. Mais c’est le contraire qui s’est produit. Si bien sûr mes recherches ont fait évoluer la vision dont il s’agit, pour l’essentiel elles l’ont renforcée, en complétant la perception quelque peu intuitive des choses qui était la mienne à l’origine. Vous êtes d’une génération qui a participé à une évolution importante dans cette direction… Oui, à l’époque la pression en faveur du mécanicisme était plus forte qu’aujourd’hui, tout spécialement dans les milieux scientifiques; plus exactement elle était moins contrebalancée qu’aujourd’hui par des pressions en sens inverse. Parmi les découvertes qui ont contribué à renforcer cette vision non mécaniste du monde, qu’est-ce qui vous paraît le plus important ? Je regardais récemment une émission de télévision nous présentant les atomes comme ayant un noyau avec des petites billes rouges et noires (les neutrons et les protons) et avec des électrons qui tournent autour. C’était très joli, très facile à comprendre… mais complètement faux ! C’est cela l’apport essentiel de la physique quantique : les constituants fondamentaux des objets ne sont plus des objets; on assiste à une « déchosification » de la matière. Ainsi la vision des fondements de la matière, actuellement répandue dans notre société, est fausse ? Oui. Je m’insurge contre ce fait que, non seulement des vulgarisateurs, mais aussi des collègues, propagent des idées qu’ils savent fausses. On reprochait aux prêtres du Moyen Âge de propager l’obscurantisme en affirmant que l’enfer est en bas et le ciel en haut. Mais ce que disent ces gens est à peu près aussi faux. Ainsi une certaine vulgarisation propage de nos jours une sorte « d’obscurantisme scientifique ». Parfois ils me disent : « Tu comprends, c’est une première approximation. » Mais c’est comme dire aux gens que le Soleil est plus petit que la Terre et qu’il tourne autour d’elle et que cela constitue une bonne approximation de l’astronomie moderne. En ce qui vous concerne, vous postulez donc un « réalisme non-physique » ? Ah non ! Ce n’est pas un postulat, c’est une démonstration! Ou enfin, presque. Pour être tout à fait exact, il y a bien un postulat à l’origine de ma démarche: c’est qu’il existe une réalité indépendante de nous et que cela a un sens de parler d’une telle réalité. J’ai des arguments en faveur d’une telle idée, mais on ne peut véritablement la démontrer; certains soutiennent à l’inverse le « solipsisme collectif » (seuls nos esprits existent). C’est pourquoi je dis qu’il y a là un postulat. Par contre, le reste s’inspire, on pourrait même presque dire « découle », des principes de la physique quantique. Les énoncés de la physique classique sont à « objectivité forte ». Une proposition comme « deux corps s’attirent en fonction de leur masse et du carré de leur distance » est objective au sens fort, elle ne dépend pas de nous. En physique quantique les énoncés sont de la forme « on » a fait ceci et « on » a observé cela. Ainsi le « on », l’observateur humain, fait partie de l’énoncé. Il s’agit d’un énoncé à objectivité faible. Or, malgré certaines tentatives, il semble impossible d’éviter de tels énoncés quand on veut décrire les fondements de la matière. Voilà pourquoi l’on n’a pas accès au réel « en soi », lorsqu’on effectue une démarche scientifique, mais au « réel empirique », voilà pourquoi le réel véritable est au-delà de la physique, au-delà des perceptions que nous pouvons avoir, au-delà des mesures que nous pouvons faire avec les instruments les plus perfectionnés existants ou pouvant être réalisés dans le futur (pour plus d’information consultez : {À la recherche du réel}, Bordas, Paris, 1979). Les électrons, neutrons, protons ne sont pas des petites billes. Mais alors comment peut-on se représenter un atome ? Il faut savoir se passer de représentation ! Mais, rassurez-vous, des allégories peuvent nous y aider. Par exemple celle de l’arc-en-ciel. L’arc-en-ciel ? Oui, imaginez toute l’humanité rassemblée sur une petite île au milieu d’un fleuve. S’ils voient un arc-en-ciel, les hommes seront alors persuadés qu’il est aussi réel que l’Arc de Triomphe, qu’il prend appui sur le sol. Mais s’ils peuvent sortir de l’île, ils verront que, quand ils se déplacent, l’arc-en-ciel se déplace aussi ! Ainsi l’arc-en-ciel existe de façon indépendante de nous (il est lié à l’existence de la lumière et des gouttes d’eau), mais certaines de ses propriétés (sa position, par exemple) dépendent de nous ! Il en est de même pour l’atome: ce n’est pas un rêve, une illusion, mais à lui tout seul ce n’est pas un objet, car une partie de ses propriétés dépendent de nous, les observateurs humains ! Ce n’est donc pas un objet « en soi ». Un autre aspect important de la physique, c’est la non-séparabilité. Oui, bien sûr. C’est très important, car c’est la première fois que l’on peut montrer scientifiquement que la proposition « Le tout est plus que la somme des parties » n’est pas un voeu pieux. Dans le langage courant, on pourrait dire que, dans les expériences qui ont montré la validité de cette notion de non-séparabilité, deux particules restent reliées par un lien étrange qui ne dépend pas de l’espace ni du temps. Comme le formalisme quantique l’avait prévu, toute action exercée sur l’une se répercute instantanément sur l’autre, quelle que soit la distance qui les sépare. Et cela, même s’il est vrai que cette non-séparabilité n’est pas exploitable pour l’action. Peut-on dire que la non-séparabilité soit une caractéristique du réel véritable? Il faut être prudent. Lorsque l’on dit que le réel véritable n’est pas accessible à la physique, on ne peut pas dire que par des expériences de physique on a prouvé quelque chose concernant ce réel! On peut faire une démonstration en « creux ». On peut dire que toute tentative de décrire le réel en soi comme quelque chose de séparable est vouée à l’échec! Vous ne pouvez pas nous en dire plus sur la non-séparabilité? J’ai dit ce que j’avais le droit de dire. Maintenant, les développements de la physique moderne nous ouvrent beaucoup de portes… Mais le fait qu’une chose soit possible ne signifie pas qu’elle soit vraie. Néanmoins, on peut faire des conjectures… Dans Un Atome de Sagesse vous écrivez : {« Dans les zones tout à fait supérieures de la pensée, je fais une place à certains discrets intuitifs – et intuitives – au moins à tels ou tels moments privilégiés qu’ils ont connus. Un nombre infime d’entre eux est parvenu à s’exprimer par le moyen de la grande littérature. Les autres gardent le silence: mais je sais qu’ils sont là, présents. »} Cette dernière phrase n’est plus une conjecture mais une affirmation… Oui, j’ai connu un certain nombre de personnes – telle cette amie de ma mère, qui écrivit des recueils de poésie – qui avaient une vie intérieure très riche. Vous pouvez m’en lire une ? » Lorsque ton coeur frémit d’une invisible approche, Ne tourne pas la tête, Laisse tes yeux se perdre au lointain de l’espace. Ne cherche pas à connaître, cette présence, Peut-être n’est-elle qu’un visage du silence et de la solitude… Ose l’appeler en toi-même d’un nom que tu croyais peut-être perdu à la Terre, devenu ombre, souvenir, et qui, arraché par l’amour à ton âme, soudain ressuscité, jaillit d’entre les morts ! » Ce genre de poésie se rapproche de ce que je fais : elle évite d’en dire trop, de tenter de donner des « détails techniques » – des précisions sur cette réalité. Je trouve en cela un sens très profond: l’idée que chaque individu peut avoir une intimité avec quelque chose qui n’est pas simplement de l’ordre du biologique ou du psychologique, quelque chose qui n’est pas une illusion. Pour moi c’est cela l’essentiel, le centre de tout. Mais on ne peut pas nommer cette chose, il n’y a pas de mots pour la décrire. C’est un indicible, un inexprimable qui néanmoins peut être dit… mais sous forme poétique seulement. Alors je parle de « profondeur du réel », je tâche de me débrouiller… mais il n’y a pas de mots. Peut-on résumer cela en disant que les connaissances scientifiques que vous avez acquises vont dans le sens de certaines appréhensions intuitives de la réalité ultime que vous avez ressenties, mais qu’il est impossible de transmettre par des mots? Oui, c’est cela. J’ajouterai que je crois que beaucoup de gens, la majorité des gens, sont comme moi, ou pourraient être comme moi. Mais c’est une chose sur laquelle on fait le silence, un silence total. Les gens n’osent même pas réaliser qu’ils ont ce genre de possibilité en eux, parce que ce n’est pas conforme à ce qu’on nous dit de penser, à ce qu’on voit à la télévision, ce n’est pas à la mode! Il y a, je crois, dans la plupart des hommes et des femmes cette espèce de ressource là, qui est tue, cachée. Peut-être cela aiderait-il un certain nombre d’entre eux à exister plus pleinement s’ils la découvraient en eux-mêmes. C’est pour cela que je me sens en désaccord avec la civilisation actuelle; parce qu’il y a eu une époque où ce genre de choses était moins rejeté dans les ténèbres extérieures que ce ne l’est maintenant. Quels arguments avez-vous pour affirmer que cette dimension qu’il y a dans l’homme n’est pas illusoire, mais répond bien à un « appel de l’Être »? Là aussi j’ai des arguments indirects. Des arguments contre la vision opposée, celle qui consiste à dire : « Ce n’est pas sérieux de parler d’appel de l’Être à l’homme, parce que nous savons bien que l’éducation, l’affectivité, la psychanalyse, peuvent expliquer cela; que pourrait-il y avoir d’autre, à l’origine de cela, que notre cerveau, qui n’est qu’une machine composée d’atomes, d’électrons et quarks? » Mais une telle vision suppose l’existence en soi, indépendante de nos aptitudes sensorielles et conceptuelles, de justement ces atomes, électrons et quarks… Or nous savons que cette conception-là n’est pas compatible avec la vision que la physique quantique nous donne de la matière. Quelle est votre « conjecture » personnelle sur l’Être ? Vous citez souvent Spinoza, est-ce à dire que vous êtes panthéiste?_Tout d’abord, je réfute absolument l’épithète de panthéiste appliquée à Spinoza. Il dit qu’il y a la substance (qu’il appelle Dieu) et que cette substance a deux modes d’expression: la pensée et l’étendue. Ainsi la substance n’est pas l’étendue seule, n’est pas la matière. En ce qui me concerne, je suis assez proche d’une telle vision. L’Être est avant la scission Sujet-Objet, ce serait donc le réduire que de parler de lui comme un Sujet ou comme un Objet. Par contre, il importe de faire la différence pour nous entre réel empirique et réel indépendant. Par exemple, j’ai été intéressé par Teilhard de Chardin dans ma jeunesse, mais sa vision est un petit peu trop matérialiste, il prend trop la matière pour un « en soi ». Néanmoins, bien que nous soyons dans le monde de la séparabilité, je ne vois pas pourquoi un certain lien avec l’Être n’aurait pas pu être conservé. Il me semble que c’est le cas et que notre esprit est peut-être une image déformée de certaines structures de cet Être. Pensez-vous que la diffusion d’une telle vision puisse être positive pour la société? Sans aller jusqu’aux valeurs, je crois que cela peut nous donner une échelle d’importance pour nos actes. Nous avons tous besoin d’exister. Alors il est évident que pour ceux dont les besoins vitaux ne sont pas satisfaits, nos considérations ne seront pas d’un grand secours. Mais comment existe-t-on dans notre société occidentale, où ces besoins sont remplis pour la très grande majorité de la population ? En acquérant du pouvoir, de l’argent, ou les deux. Ainsi les actes de bien de nos concitoyens sont dirigés dans ce seul but. Ils se lancent dans l’action pure, l’action pour l’action. Je pense ainsi que quand nous avons compris ce que nous venons de dire, il en découle qu’il y a d’autres façons d’exister, et donc on peut orienter sa vie autrement. Bien que je ne me sente pas une âme de cénobite, je crois qu’il faut prendre en compte la manière d’exister que nous enseignent les moines (et pas seulement les moines chrétiens), car elle se situe aux antipodes des tendances actuelles. Notre société serait un petit peu meilleure si une grande partie des gens avaient un peu de moine en eux. On pourrait vous objecter qu’il y avait déjà des civilisations qui avaient une vision non matérialiste, et qui pourtant n’ont pas été très charitables… Bien sûr, mais c’est parce qu’il leur manquait quelque chose de fondamental: le sens critique. C’est pour cela que les gens s’entre-tuaient pour des détails. J’ai ici un texte de Grégoire de Tours qui décrit des batailles sanglantes entre gens qui n’étaient pas d’accord… sur la date de Pâques! Les conflits entre religions sont dûs à l’absence de sens critique! Et ils sont d’autant plus absurdes, qu’il y a dans toutes les religions des théologiens pour dire que Dieu est indicible, donc indescriptible… et que ces gens se tuent parce que chacun veut décrire Dieu à sa manière!! Or la Science donne le sens critique. C’est pourquoi il faut que chacun, à défaut de faire de la Science, ait une bonne connaissance des fondements de la connaissance scientifique. Dans la situation quelque peu morose qui est la nôtre, il y a là un véritable espoir: voir surgir une société qui aurait à la fois une aspiration à une intimité avec l’Être et un sens critique largement développé. Une telle société représenterait un réel progrès par rapport aux situations antérieures. Mais comment peut-on faire évoluer la société? D’une certaine manière j’aime assez le mouvement hippie. Aux États-Unis, ils ont failli réussir à changer la société, justement en refusant de vivre simplement pour l’argent, le pouvoir ou le statut social. Mais c’est un mouvement qui a souvent dégénéré: drogue, nihilisme… N’était-ce pas par manque de fondements? Vous avez tout à fait raison. Si je citais cet exemple, c’est pour montrer que tout espoir n’est pas perdu, et qu’un mouvement porteur de certaines des valeurs qui nous sont chères peut influencer une société. Et pour l’avenir… Je fonde un certain espoir sur l’écologie. C’est un bon moyen de changer les choses en montrant qu’il y a un autre but à la vie que l’activité pour l’activité. Le sentiment de la Nature, c’est quelque chose qui est accessible à beaucoup de gens, alors que mes livres ne sont pas accessibles à tous, bien que je fonde quelque espoir sur le dernier. Mais pour avoir une consistance durable, il faut que l’écologie soit complétée par une démarche visant, à partir des ouvertures apportées par la Science, à prendre conscience de cette profondeur du réel. Si les responsables écologistes comprennent que c’est là qu’ils pourront trouver des fondements à leurs actions, il y a un espoir que, petit à petit, les choses puissent évoluer grâce à cette double redécouverte: celle de la nécessité d’une quête de l’Être et celle de la nécessité d’autres rapports avec la Nature
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Par Jean Staune
Il y a de la hardiesse à poser une telle question parce que, pour les deux écoles qui ont dominé la pensée scientifique du XXème siècle, la réponse est non. En effet, après la poussée (ou la crise, si l’on préfère) scientiste du XIXème siècle, un modus vivendi s’est établi. Matérialistes et spiritualistes admettent tous deux que la Science n’est plus toute puissante, qu’elle ne détient pas la Vérité avec un grand V comme l’a cru un Berthelot, et donc qu’elle ne peut interdire la foi. Leurs positions scientifiques ne diffèrent pas : la Science n’a rien à dire sur le Sens, il s’agit de deux domaines séparés (c’est pourquoi je nomme « séparationistes » cette catégorie de spiritualistes) et la question du Sens dépend des convictions de chacun. Certes, cette possibilité donnée par l’écroulement du scientisme est déjà en soi une grande nouvelle, tant pour les scientifiques d’avant la première guerre mondiale que pour le grand public au cours du XXème siècle, la Science a pu paraître s’opposer aux différentes traditions de l’humanité qui, elles, postulaient l’existence d’un tel sens. Ainsi le prix Nobel de Physique Eddington a-t-il pu dire en faisant référence à l’année d’élaboration de la synthèse de la mécanique quantique : « Après 1927 il est devenu possible à un homme intelligent de croire en Dieu. » Mais il s’agit là d’une possibilité, rien de plus. Et il ne semble guère possible d’aller plus loin. En effet, une fois descendue du piédestal où l’avait placée le scientisme, la science ne peut prétendre à des conclusions d’ordre ontologique, car on ne peut jamais dire qu’une théorie scientifique est vraie, mais seulement, comme l’a montré Karl Popper, qu’elle n’a pas encore été démentie par l’expérience. Quelle conclusion pouvez-vous tirer de cela ? 2) LE « PAS EN PLUS » Ce que nous allons essayer de faire ici, c’est de voir comment il pourrait être possible de faire un pas en plus (oh, juste un petit pas supplémentaire) à partir de cette position si raisonnable qu’elle semble indépassable. Le premier point, essentiel, est d’ordre méthodologique. Quand on parle des conséquences des nouvelles théories scientifiques on ne sépare pas assez souvent les faits parlant en faveur d’un autre niveau de réalité de ceux concernant l’existence d’un sens à cet autre niveau. Fourastié note que pour les matérialistes le réel existant se confond avec le réel observable ou qui sera observé dans le futur. L’existence d’un autre niveau de réalité qui ne serait ni observable ni détectable ne saurait bien évidemment concerner la science. L’éventuelle démonstration scientifique de l’existence d’un tel autre niveau constituerait donc une première partie du pas que nous cherchons à accomplir. Mais cela ne suffit pas, car rien ne garantit l’existence d’un sens à cet autre niveau (il pourrait y régner le chaos). De plus il y a des « matérialistes intelligents » selon l’expression du philosophe André Comte-Sponville, qui admettent l’existence de cet autre niveau. Selon lui être matérialiste c’est être étranger à l’Univers, c’est avoir des projets, des sentiments dans un Univers qui n’a ni projets ni sentiments. Être croyant c’est être chez soi dans l’Univers, c’est penser que comme nous il a des projets et des sentiments. Voici donc la vraie question : sommes-nous ou non étrangers à l’Univers ? 3) LES PIECES DU DOSSIER. LA PHYSIQUE QUANTIQUE Certes une onde n’est pas plus spirituelle qu’une particule, comme me le faisait remarquer M.P. Schutzenberger, mais cette « déchosification » de la matière, selon l’expression de Bernard d’Espagnat, qu’amène la physique quantique, le fait que les constituants fondamentaux des objets ne soient pas des objets, est une situation moins « confortable » pour un matérialiste que celle qui l’a précédée. On accède ici à un niveau de complexité du réel où déjà certaines certitudes se dissolvent. On peut ensuite carrément parler d’autre niveau de réalité avec l’apport de la non-séparabilité, cette influence mystérieuse qui relie deux particules en échappant à l’espace et au temps. Il existe ainsi une « causalité globale » dans l’Univers qui, quelles que soient les explications envisagées, nécessite l’existence de cet autre niveau. Il n’est pas nécessaire ici de développer des spéculations sur le fait de savoir si c’est la conscience qui réduit ou non le paquet d’ondes. Le simple phénomène de la réduction du paquet d’ondes est un phénomène instantané et global qui contenait déjà en germe la non-séparabilité avant la mise en évidence expérimentale de celle-ci. L’ASTROPHYSIQUE : Le Big Bang n’est pas la preuve d’un commencement de l’Univers, puisqu’on ne peut remonter au-delà du temps de Planck (10-43 secondes « après » un début supposé), mais elle rend cette hypothèse au moins aussi probable que le contraire, comme le dit Trinh Xuan Thuan : »La notion de création introduite dans la pensée cosmologique par Saint Thomas d’Aquin au Xlllème siècle, puis écartée avec dédain par Laplace et ses successeurs, trouvait ainsi un support scientifique au moment où l’on s’y attendait le moins. » (1) Le Principe Anthropique, par contre, l’existence d’un réglage particulièrement précis de l’Univers sans lequel la Vie n’aurait pu apparaître, pose directement la question du Sens ; c’est sur lui que le physicien de Princeton Freeman Dyson s’appuie pour répondre à la question fondamentale, celle de notre rapport à l’Univers : « Je ne me sens pas étranger dans l’Univers, plus je l’examine et étudie en détail son architecture, plus je découvre de preuves qu’il attendait sans doute notre venu (2), prenant ainsi l’exact contre-pied de Monod qui affirmait « l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers d’où il a émergé par hasard. » LA BIOLOGIE Dans la vision darwinienne et néodarwinienne « la Vie est un long fleuve tranquille », un continuum où la notion d’espèce n’existe pas vraiment, la transformation d’une espèce en une autre étant continue et insensible. Sous la contrainte de faits liés à l’anatomie comparée comme à la paléontologie, les théories de l’évolution actuelles ont dû réviser ce jugement : ainsi Stephen Jay Gould nous dit que l’évolution ressemble plutôt à la vie d’un policier : de longues périodes d’inactivité entrecoupées de quelques minutes de terreur. Cette vision non-gradualiste de l’évolution est très importante car elle permet de redonner crédit à la conception typologiste de la Nature que l’on trouvait déjà chez Aristote. Ainsi un paléontologue comme Roberto Fondi, un biologiste moléculaire comme Michael Denton, défendent une telle conception dans laquelle ce sont les types (homme, chien, papillon, champignon…) qui existent et il ne saurait y avoir d’intermédiaires entre eux. Mais comment le passage d’un type à l’autre pourrait-il être le fruit du hasard ? Cette conception a été depuis fortement renforcée par les tra vaux d’Anne-Dambricourt Mallassé montrant l’existence « d’embryogénèses fondamentales », véritables « plans d’organisation » sur lesquels reposent les types. Cela pose immédiatement le problème de l’existence d’archétypes correspondant aux idées platoniciennes, sortes « d’attracteurs » dirigeant les macromutations nécessaires pour passer d’un type à un autre, et nous renvoie à cette notion d’autre niveau de réalité. La Biologie pose aussi la question du Sens. Le célèbre argument de William Paley selon lequel en rencontrant une montre dans le désert on postulerait l’existence d’un horloger et non sa fabrication à partir de l’érosion due à l’eau et au vent, et que, donc, face à un système vivant, il faut postuler un créateur, a été réfuté par David Hume. Selon lui l’analogie entre systèmes vivants et machines n’est que très imparfaite. Pour conclure qu’un objet est dû à un créateur intelligent, il faut que l’analogie avec une machine soit très forte. Mais Michael Denton a fait remarquer que pour une civilisation primitive un objet comme une calculatrice ne saurait être considéré comme ayant été créé par l’homme car il s’agit d’une technique trop avancée par rapport à celle concevable pour une telle civilisation. Ainsi, selon lui, les progrès de la biochimie et de la biologie moléculaire infirment la critique de Hume : « Dans toutes les directions où se pose son regard, le biochimiste qui chemine à travers le fantastique labyrinthe moléculaire aperçoit des dispositifs et des applications qui lui rappellent la technologie la plus avancée de ce siècle. Nous avons observé un monde aussi artificiel que le nôtre, aussi familier que si nous avions tendu un miroir devant nos propres machines. » Il n’hésite pas à conclure par l’une des phrases les plus audacieuses écrites par un biologiste contemporain : « L’hypothèse de la création intelligente de la Vie est un concept métaphysique à priori qui doit donc être rejeté comme dépourvu de toute valeur scientifique. Au contraire l’inférence de la création est une induction a posteriori qui procède inéluctablement de la logique de l’analogie entre système vivant et technologie avancée. Même si la conclusion peut avoir des implications religieuses elle ne dépend pas de présupposés religieux. LA NEUROLOGIE Nous ne détaillerons pas ici les différentes expériences qui permettent à Sir John Eccles ou à J.F. Lambert d’affirmer que toute description de ce que nous sommes en termes de neurones est incomplète. On localise de mieux en mieux les aires visuelles, auditives, les aires du langage, mais comme l’a montré J.F. Lambert quelque chose échappe à toute représentation en termes de neurones, et ce quelque chose c’est l’essentiel, c’est l’unité de l’esprit humain, notre « Soi conscient » dirait Eccles. LES MATHEMATIQUES Einstein disait « le plus incompréhensible » c’est que le monde soit compréhensible » indiquant par là que le seul fait qu’une mathématique soit possible et fonctionne indique l’existence d’un certain lien entre la structure du Monde et l’esprit humain. Des débats récents comme celui de Connes et Changeux (6) ont remis à l’ordre du jour la question du Platonisme » en mathématiques. Pour ceux qui ont la pratique de cette science il apparaît clairement que les concepts mathématiques existent en dehors de l’espace, du temps et du cerveau humain. Résumons-nous : dans toutes les grandes disciplines scientifiques nous voyons poindre « des choses cachées derrière les choses », selon l’expression de Jacques Prévert. Derrière la non-séparabilité en Physique Quantique, derrière le Big Bang, derrière les archétypes de l’évolution, derrière le cerveau humain et les mathématiques se profile « le réel voilé », selon l’expression de Bernard d’Espagnat, ou « l’ordre impliqué » de David Bohm. Ainsi semble accomplie la première partie « du pas en plus ». Le principe anthropique et le caractère de technologie avancée du phénomène vivant ne sauraient à eux seuls prouver l’existence d’une finalité ; ils nous fournissent néanmoins des « symptômes » de sens, comme le dirait J.F. Lambert. Nous devons faire maintenant face à une objection fondamentale : au nom de quoi allons-nous dire que tout cela ne va pas disparaître avec les progrès de la science, et que ceux-ci ne vont pas faire voler en éclats la notion d’autres niveaux de réalité ? Au nom d’une tendance, d’un postulat et d’un théorème. La tendance c’est justement celle qui se manifeste dans tous les domaines scientifiques en même temps (avec quelques décennies de décalage). L’une des expressions clés de la vision nouvelle c’est le holisme, l’idée que le tout est plus que la somme des parties. Cela s’applique ici : s’il n’y avait que la mécanique quantique ou que l’astrophysique à aller dans ce sens, la démonstration n’aurait plus du tout la même valeur. Mais, auparavant aussi toutes les sciences allaient dans le même sens, et c’était celui du réductionnisme et du matérialisme. Alors ? Alors c’est là qu’intervient le postulat. Il consiste à affirmer que la science ne connaîtra plus jamais d’état d’indéterminisme comparable à celui existant avant notre civilisation ( « le ciel qui peut nous tomber sur la tête » ! ), ni d’état de déterminisme absolu que nous avons connu au début du siècle. Ce postulat est résumé par la figure 1 qui montre l’évolution prévue au cours du temps des conceptions scientifiques entre les notions de déterminisme et d’indéterminisme. On voit que la courbe se stabilise au milieu de la figure, ce qui correspond à une vision du monde que j’appellerai « semi-déterminée ». En fonction d’un tel postulat, même s’il est conçu d’une manière très différente, cet autre niveau de réalité existera toujours, une fois dépassée l’étape de la méconnaissance scientifique et celle de l’illusion de l’omniscience. Certains protesteront en s’exclamant comme Jean-Pierre Changeux qu’on ne saurait assigner des limites à la science. C’est là qu’intervient le théorème. Le théorème de Gödel, l’un des résultats les plus importants de ce siècle, affirme justement que tout système fini d’axiome contient une proposition indécidable. On peut dire qu’il s’agit ainsi de la démonstration que l’on ne peut tout démontrer. 3) AUTO ORGANISATION ET INCOMPLETUDE. Nous voici donc avec nos symptômes de sens. Mais il faut tout de suite noter que le sens recherché peut être de deux natures différentes. Soit il s’agit d’un sens qui ne préexiste pas au monde mais se construit avec lui (le sens émerge du rapport de l’homme avec le monde) et c’est l’idée d’auto-organisation. Soit il s’agit d’un sens situé au minimum « aux marges du monde », selon l’expression de Wittgenstein, voire provenant du « tout autre » de la théologie judéo-chrétienne. J’ai nommé cette école celle de l’incomplétude, puisqu’elle postule l’incomplétude irrémédiable du Monde appréhendable. Je ne le ferai pas ici, car ce serait réducteur de coller ainsi des étiquettes sur des hommes, mais il semble que la grande majorité des scientifiques participant à ce que l’on nomme le « nouveau paradigme » peuvent se répartir de façon à peu près équitable dans l’une ou l’autre de ces écoles. Ainsi il semble, que la « cohabitation confrontation » qui a existé au XXème siècle entre « matérialistes » et « séparationnistes croyants » sera remplacée au XXIème siècle par une autre entre tenants de l’auto organisation et de l’incomplétude. 4) LE REENCHANTEMENT DU MONDE, UNE NECESSITE POUR NOTRE TEMPS Quelle que soit l’importance des différences existant entre ces deux tendances, il faut noter ici qu’elles sont pour l’instant « compagnons de route » sur la voie d’un réenchantement de l’homme et du Monde. En effet notre société est la première où il a été possible de concevoir de façon majoritaire le monde comme absurde. Une grande partie du désarroi contemporain, la montée des suicides, de la consommation de drogues, peuvent être attribués à ce sentiment que notre existence serait dépourvue de sens. Basarab Nicolescu et Jean François Lambert sont à ma connaissance les deux auteurs qui ont le mieux perçu les ravages qu’ a généré l’abandon de toute quête du sens. « La science repliée sur elle-même, coupée de la philosophie, de par sa position dominante dans notre société, ne peut mener qu’à l’auto-destruction (…) Nous étions en danger de mort, sous l’influence de maîtres à penser prônant un seul niveau de Réalité, horizontal, où tout tourne en rond et engendre fatalement le chaos, l’anarchie, I’auto-destruction. » (7) dit Nicolescu. Lambert lui fait écho : « Si l’homme n’est qu’un ensemble de molécules, et si l’univers est dépourvu de signification, alors, comme le dit R. de Gopegui, on n’est pas bon ou méchant, intelligent ou sot, etc… mais bien ou mal programmé. Il s’en suit que nous n’avons aucune responsabilité vis à vis de nous-même ni vis à vis d’autrui. L’éthique est inutile. S’il n’y a pas de sujet, il n’y a pas d’humanisme, et s’il n’y a pas de sens il n’y a pas de sujet. La dignité de la personne humaine apparaît non négociable seulement si elle est inhérente à sa nature et ne se réduit pas à la physiologie. L’humanisme scientiste ne peut proposer qu’une éthique « réduite aux acquêts », livrée aux caprices des plus malins ou des plus cyniques. » (8) Or dans notre société c’est la science et non plus la religion ou la philosophie comme auparavant, qui détermine notre vision de l’homme et du monde, vision qui a des répercussions essentielles sur notre société. Et depuis trois siècles la science nous donne une vision déterministe et mécaniste de l’homme. C’est pourquoi, comme le dit Nicolescu, « la rencontre contemporaine entre la science et le sens est un événement capital qui va probablement engendrer la seule vraie révolution de ce siècle. » C’est pourquoi ces deux voies, incomplétude et auto- organisation, en redécouvrant la possibilité de l’existence d’un sens dans l’Univers, jouent un rôle qui va bien au-delà d’un simple questionnement philosophique, mais sont susceptibles d’agir sur nos rapports avec la Nature, avec les autres, avec nous-mêmes. Le fait que la science ait découvert par ses propres moyens l’existence de « niveaux de réalité » comme le dit Nicolescu, rend ainsi « la quête de l’Être non à priori absurde » comme l’affirme d’Espagnat. (9) 5) L’INTUITION (OU LA REVELATION) FONDAMENTALE. Scientifiquement il n’est pas possible d’aller plus loin. Mais si nous voulons aller au bout de notre pas en plus, de ce pas en avant que nous essayons d’accomplir depuis la position « séparationniste » sage et sans danger, il nous faut maintenant nous plonger dans l’étude des grandes traditions de l’humanité. Nous sommes là face au choix suivant : soit les différentes religions ont été inventées par l’homme pour répondre à son angoisse devant la mort, à son étrangeté dans cet univers où il a surgi par hasard. Soit par une voie quelconque, intuition ou révélation, les religions contiennent une information véritable sur la structure du Monde. Nous ne pouvons plus écarter dédaigneusement cette possibilité, car notre parcours à travers la science nous a montré, comme le dit d’Espagnat, « qu’on ne peut plus exclure que d’autres formes de connaissance nous apportent également des lueurs sur le réel. » Pour départager ces deux hypothèses, la question-clé est celle de la cohérence. Si derrière les formes et les images propres à chaque civilisation apparaît une cohérence intérieure plus forte que celle qui peut normalement être attendue, alors la deuxième hypothèse deviendra crédible. Je n’ai ni la compétence ni la place pour faire ici une analyse comparée des religions, je désire simplement, en survolant rapidement les grandes traditions de l’humanité, montrer qu’en tous temps et en tous lieux on y retrouve une intuition fondamentale, celle d’un Univers à deux niveaux de réalité, où le premier, hors du temps, de l’espace, de la matière, celui de l’incomplétude, engendre lors d’une rupture un deuxième niveau, celui du devenir et de l’évolution, où se déroulent des processus d’auto-organisation. L’HINDOUISME Malgré les apparences, la doctrine védique n’est ni polythéiste ni panthéiste, les diverses puissances ne sont que les noms des énergies divines. Au-delà il y a le sens suprême sans définition aucune, le principe situé hors du temps, notion que nous allons retrouver dans les autres traditions. Puis il y a rupture, division (division dont on peut dire qu’elle est l’équivalent de la « chute » des religions du Livre), pour qu’au-delà de l’un apparaissent multiplicité et devenir. LE BOUDDHISME Certains auteurs modernes ont affirmé que le Bouddhisme était un matérialisme : le Bouddhisme dans sa pureté primitive ignorait l’existence de Dieu, niait l’existence de l’âme, c’était surtout un code moral. « Malheureusement ces trois propositions sont fausses » nous dit Ananda Coomaraswamy, (10) « la haute éthique du bouddhisme n’est qu’un stade préliminaire Les textes les plus anciens, montrent que l’essentiel se trouve dans la vie contemplative, les spéculations matérialistes sont bien postérieures. » Le Bouddha dit de la façon la plus claire : « Il y a un non-né, non-devenu, non créé, non-composé, et s’il n’existait pas il ne pourrait y avoir aucun chemin d’évasion hors de la naissance, du devenir, de la création et de la composition » (11) affirmant ainsi l’existence de ces deux niveaux de réalité, celui du devenir et celui situé hors du temps et de l’espace, et le fait que le but de la vie est bien de rejoindre ce dernier. Le TAOÏSME Pour le taoïsme aussi il existe parfois une ambiguïté. En se basant sur le Yi King, le livre des transformations, on a pu concevoir la pensée chinoise comme matérialiste. Or Lao Tseu nous dit : « Ce qu’on appelle Tao est indistinct et ineffable, il contient pourtant les formes, il contient pourtant les objets » Il explicite cela en disant « Le Tao sans nom est origine du Ciel et de la Terre (c’est le niveau indicible ), avec un nom le Tao est la mère des choses (l’enfantement) » (12). Il s’agit du niveau du devenir et c’est à ce niveau là et non à l’autre que se réfère le Yi King qui est, bien sûr, un livre du devenir. LES RELIGIONS DU LIVRE Leur mythe commun est la Genèse. Plus clairement encore qu’ailleurs cette structure à deux niveaux y est décrite. Genèse I c’est le monde en devenir, celui où l’homme et la femme arrivent ensemble et après tous les animaux. Genèse Il c’est le monde de la pensée créatrice de Dieu, et l’homme y arrive avant tous les animaux. On dit dans l’exégèse moderne qu’il y avait deux récits de la création contradictoires, et qu’on les a gardés tous les deux pour ne choquer personne. Vous comprendrez en fonction de ce qui précède pourquoi cette interprétation semble quelque peu simpliste. Si on les détaille on voit : DANS LE JUDAÏSME que l’arbre de la Kabbale est parfaitement explicite : Au sommet se trouve la couronne » et ses deux dérivés « Sagesse » et « Intelligence » qui forment une triade supérieure, une unicité absolue, transcendante, dont l’essence est inaccessible à l’entendement humain. Les sept sephiroths suivants sont des forces agissantes, des ouvriers, si l’on peut dire, dont l’action se situe dans le monde du devenir DÈS LES DÉBUTS DE LA CHRÉTIENTÉ nous trouvons chez Grégoire de Nysse et surtout chez Denys dit l’Aréopagite, à la fois la transcendance et l’inaccessibilité de Dieu et l’existence des hiérarchies divines opérantes DE MÊME DANS L’ISLAM mystiques et visionnaires nous décrivent comment ce qui est ineffable interagit avec le monde du devenir par l’intermédiaire de ce monde qu’Henri Corbin a nommé « Mundus Imaginalis ». Cette unité de fond concernant cette vision d’un monde de l’ineffable lié à un monde du devenir dans les religions monothéistes, peut être résumé par la phrase de Jacob Boehme : « La Nature est une formation et une configuration continuelle des sciences et de l’amour divin Ce que le Verbe fait par la Sagesse, la Nature le façonne en Qualité. » Jacob Boehme chez lequel comme Basarab Nicolescu l’a montré (13), les sept qualités (assimilables aux sept sephiroths) et le 2ème et le 3ème principes sont dans le monde du devenir, de l’auto-organisation. Mais le ler principe, lui, est situé à un autre niveau. Comme le dit Boehme « Dieu considéré en Lui-même est sans distinction, sans nature, il est à la fois le Dieu et le Tout. » Je terminerai ce trop bref parcours à travers tant de textes fondamentaux par d’Eckhartshausen qui affirme que « l’unité des religions est dans le Sanctuaire le plus intérieur et la multiplicité des religions extérieures ne peut ni changer ni affaiblir cette unité qui est la base de tout l’extérieur » (14), postulant ainsi à la fois l’existence d’un niveau incorruptible par rapport à celui corruptible où évoluent les « religions extérieures » et l’unité transcendantale des religions sur la question essentielle, celle du sens. Ainsi donc il n’y a pas réellement opposition entre l’incomplétude et l’auto-organisation. De même que Einstein a avalé Newton vivant, l’incomplétude avale l’auto-organisation : elle ne sont pas situées au même niveau. La vision que nous retirons de ce voyage à travers toutes les grandes traditions de l’Humanité est la suivante : 1) Un sens préexistant mais insaisissable, vers lequel l’être humain doit néanmoins tendre. 2) Un monde du devenir parfois non linéaire, parfois tâtonnant, parfois contradictoire, parfois incompréhensible, mais qui reste néanmoins mystérieusement relié à ce principe premier. 3) Et entre les deux une rupture, (« la chute » dans la tradition chrétienne) mais que l’on retrouve sous d’autres formes dans bien d’autres traditions. Ce n’est pas une preuve mais une telle structure apparaît trop cohérente pour être due uniquement à des contingences socioculturelles. Voilà donc comment nous pouvons effectuer la dernière partie de notre « pas en plus » : en confrontant l’intuition majeure de l’humanité à la structure induite par l’évolution de l’ensemble des grands domaines scientifiques (et en tenant compte de notre réponse à l’objection fondamentale), ce n’est pas une démonstration au sens scientifique du terme, mais c’est quand même un pas en plus, un pas vers une nouvelle philosophie de la Nature, un pas hors du monde de la philosophie de l’absurde, un pas vers un monde où nous serions chez nous au lieu d’y être des étrangers. 6) LES TROIS EPOQUES DE L’HUMANITE. Auguste Comte se retournera peut-être dans sa tombe mais on peut dire ainsi que l’humanité a connu trois époques. La première fut dominée par le fait religieux mais il y manquait la raison, le fanatisme pouvait s’y développer, et on s’étripait pour un désaccord portant sur une caractéristique mineure d’un Dieu pourtant en grande partie inconnaissable selon les théologiens eux-mêmes. La deuxième fut dominée par la raison qui alla reléguer la religion parmi les superstitions préhistoriques ; il en découla le triomphe des philosophies de l’absurde. Et la troisième qui commence en cette fin du XXème siècle est celle où, comme le dit le prix Nobel de médecine Roger Sperry, après avoir été en conflit direct au point de sembler s’exclure mutuellement, les croyances religieuses et les croyances scientifiques semblent maintenant promises à une nouvelle compatibilité, peut-être même une harmonie. » (15). Espérons que cette époque saura avoir le souffle que peut donner le sens et l’équilibre que peut donner la raison. Nous conclurons par une image et une citation : L’image c’est « Exposition d’estampes » (16) d’Escher (Figure 2) Représentant un homme regardant un tableau dans lequel se trouve la ville où se trouve le musée où se trouve la galerie où se trouve le tableau qu’il regarde… cette oeuvre semble illustrer de façon frappante le tourbillon de l’auto-organisation, la non-linéarité, l’immanence, I’auto-engendrement du sens. Mais au centre se trouve…un trou. Peut-être penserez-vous que cela est sans importance, que l’artiste aurait pu éviter son existence. Ce n’est pas le cas. Si l’on regarde la grille située au-dessus du tableau on voit que sa structure (dite en bouteille de Klein) comporte forcément une singularité au centre. Bien plus, l’auteur a signé dans ce trou (il s’agit à ma connaissance du seul tableau au monde où la signature se trouve au centre), indiquant ainsi que ce trou constitue bien l’essentiel de l’œuvre ! Allégorie du théorème de Gödel, montrant l’incomplétude radicale de toute vision qui ne reposerait que sur l’immanence et sur l’auto-organisation, semblant faire écho à Lao-Tseu : »Trente rayons convergent au moyeu mais c’est le vide médian qui fait marcher le char » (12) et à la célèbre phrase de Saint-Exupéry : « On ne voit bien qu’avec le coeur, l’essentiel est invisible pour les yeux. » « Exposition d’estampes » d’Escher, en montrant qu’à notre niveau de réalité c’est l’absence de représentation qui est fondatrice du sens, est véritablement l’emblème du « nouveau paradigme ». Il ne nous est donc pas possible d’aller plus loin dans notre quête de ce « un »" ineffable dont la présence ne se manifeste que par l’absence de complétude de toute vision immanente du monde sauf recourir à la théologie négative et donc à Denys l’Aréopagite : » Nous disons donc que la Cause universelle, située au-delà de l’univers entier, n’est ni matière ni corps ; qu’elle n’a ni figure, ni forme, ni qualité, ni masse ; qu’elle n’est dans aucun lieu, qu’elle échappe à toute saisie des sens. . qu’on ne peut ni l’exprimer ni la concevoir, qu’elle n’a ni nombre, ni ordre, ni grandeur, ni petitesse, ni égalité, ni inégalité, ni similitude, ni dissimilitude ; qu’elle ne demeure immobile ni ne se meut ; (…) qu’elle n’est ni puissance ni lumière ; qu’elle ne vit ni n’est vie ; qu’elle n’est ni essence, ni perpétuité, ni temps qu’elle échappe à tout raisonnement, à toute appellation, à tout savoir. » (17) « Et pourtant elle existe ! » pourrait dire un Galilée moderne. BIBLIOGRAPHIE - 1.Trinh Xuan Thuan, « La Mélodie Secrète », Fayard 1988. - 2.Freeman Dyson, « Les Dérangeurs d’Univers », Payot,1986. - 3.Jacques Monod, « Le Hasard et la Nécessité », Le Seuil, 1970. - 4.Michael Denton, « Evolution, une théorie en crise », Flammarion,1992. - 5.Sir John Eccles, « Evolution du cerveau et création de la conscience », Fayard, 1992. - 6.Alain Connes et Jean-Pierre Changeux, « Matière à Pensée », Odile Jacob,1989. - 7. Basarab Nicolescu, « Nous, la particule et le Monde », Le Mail,1985. - 8. Jean-François Lambert, « L’Épreuve du Sens – Sens et Incomplétude » in Les Cahiers Jean Scott Erigène, Guy Trédaniel Editeur, 1993. - 9. Bernard d’Espagnat, « A la Recherche du Réel », Gauthier Villars,1980. - 10. Ananda Coomaraswamy, « l’Hindouisme et Bouddhisme », Gallimard,1949. - 11. « Le Livre des Morts Tibétain », présenté par Evans-Wentz, Editions Adrien Maisonnneuve. - 12. Lao Tseu « Tao To King », Gallimard,1967. - 13. Basarab Nicolescu « La Science, le Sens et l’Evolution », Editions du Félin, 1988. - 14. d’Eckhartshausen, « La Nuée sur le sanctuaire », Bibliothèque des Amitiés Spirituelles, traduction de André Savoret, édition de 1965. - 15. Roger Sperry, in « Religion, Science and the Search for Wisdom », United States Catholic Conference, 1986. - 16.Bruno Ernst « Les Miroirs Magiques de M. C. Escher », Tashen, 1991. - 17. Cité par Olivier Clément, « Sources », Stock, 1986. Par Jean-François Lambert
L’opposition entre monisme réducteur et dualisme séparateur n’est pas sans alternative. Une telle alternative suppose cependant l’abandon de la logique habituelle considérée naïvement comme « naturelle » au profit d’une logique autre, une logique de l’absence comme témoin d’une présence. La pensée, I’esprit, le sujet, ne sauraient être objectivement circonscrits et donc leur « présence » n’est pas à rechercher dans, ou à côté. des processus, mais dans l’impossibilité pour les processus de s’auto-justifier. Un certain nombre de travaux montrent en effet, la non-adéquation du mental conscient au neuronal formel, autrement dit l’irréductibilité de la subjectivité au fonctionnement objectif du cerveau. Nous envisagerons ici des expériences particulièrement spectaculaires, témoignant du fait que la conscience n’est pas réductible à ces conditionnements neurophysiologiques. Les faits rapportés montrent de façon flagrante que la thèse de l’ identité psycho-neurale – tout comme celle du parallélisme – et plus encore celle de la réduction physicaliste, ne vont pas de soi. Les arguments cliniques énoncés ne constituent pas une démonstration de la réalité opérationnelle de la subjectivité. Ils contribuent à montrer que la question de la conscience constitue bien une réalité problématique. Il s’agit plutôt de mettre en scène la manière dont la question de la conscience se pose que de prétendre y répondre autrement qu’en affirmant la Conviction qu’il est vain de chercher à objectiver la subjectivité autrement que sur le mode de l’absence. APPROCHES EXPERIMENTALES DE LA SUBJECTIVITÉ Le terme de conscience peut être entendu dans des sens très différents. Il désigne, d’abord, le fait d’être éveillé ou endormi, attentif ou distrait, c’est-à-dire plus ou moins vigilant. Il se rapporte également à ce dont un sujet a connaissance: pensées, sentiments, perceptions rêves, raisonnements… Il renvoie enfin au sens ultime de l’action lorsqu’il s’agit de la conscience morale. La conscience s’offre donc à l’investigation psychophysiologique comme l’expression d’un certain type d’activation du système nerveux aux prises avec l’environnement (niveau de vigilance) et comme la manifestation d’une certaine forme de connaissance s’appliquant au monde et à soi-même (conscience réflexive, conscience de soi). L’hémisphère gauche: un générateur d’hypothèses ? Deux problèmes sont présentés simultanément, l’un à l’hémisphère gauche parlant et l’autre à l’hémisphère droit non parlant. Les réponses à chaque problème sont exposées à la vue du patient. (D’après Michael Gazzaniga et Joseph Le Doux, The Integrated Mind (New-York, Plenum, 1978). Électroencéphalographie et conscience L’étude des tracés électroencéphalographiques (EEG). associés aux différents niveaux de vigilance chez l’homme, montre qu’à l’évidence, ils ne sont pas liés de façon univoque à un état de conscience donné. En effet, un même type de tracé (bêta) accompagne des états aussi différents que la veille active associée à la conscience réflexive et le sommeil paradoxal associé à la conscience onirique. Inversement, un même état de conscience (la conscience onirique) peut être associé à des tracés aussi différents que le rythme alpha (veille diffuse) et le rythme bêta (sommeil paradoxal). « Potentiels évoqués » et conscience L’étude des potentiels évoqués apporte également des exemples frappants de non-concordance entre un état de conscience et un indice électrophysiologique. On sait que l’annulation des potentiels évoqués constitue -avec le silence électroencéphalographiques (EEG plat) – L’un des deux critères de la mort légale (mort clinique). L’absence de potentiel évoqué est a priori considérée comme reflétant une absence de conscience. Or, nous avons pu constater que l’activité évoquée visuelle était pratiquement annulée chez des moines tibétains en méditation. Personne ne doute que les méditants aient, à ce moment, accès à des états de conscience hautement élaborés. L’annulation du potentiel évoqué ne traduit donc pas nécessairement la suppression de toute forme de conscience. La non-équivalence entre indice électrophysiologique et état de conscience peut encore être illustrée avec la Variation Contingente Négative (VCN). Cette réponse dont on sait qu’elle se développe dans l’intervalle séparant un stimulus préparatoire d’un stimulus impératif est, le plus souvent, absente chez les psychotiques et grands anxieux. Mais elle est également transitoirement supprimée dans des états de satiété (sédation) et de détente (relaxation, méditation). L’annulation de la VCN peut donc être associée à des situations particulièrement contrastées du point de vue des états de conscience vécus par le sujet. On voit bien, à travers ces exemples, qu’il n’existe pas et ne peut pas exister de représentation électroencéphalographiques de la conscience en tant que vécu subjectif. Il ne peut pas exister de phalographique du vésu subjectif Y a-t-il quelqu’un ? Le sujet connaissant celui qui prétend décider apparaît ici comme directement lié à ce qui résiste, ce qui échappe. Mais alors, dans la mesure où lui-même ne peut que résister. Échapper à toute forme d’objectivation, qu’en reste t’il ? Y a-t-il finalement quelqu’un qui décide ? La notion de sujet ne se ramène-t-elle pas seulement à une fiction grammaticale permettant de rendre compte de comportements produits à notre insu ? L’impossibilité radicale de toute forme de totalisation ne rend-elle pas vaine toute tentative d’élucidation du sujet ? On sait désormais que la conscience ne se résume pas à une intuition claire et rationnelle, une saisie immédiate de l’objet. Il y a comme une altérité interne au sujet- quelque chose qui pense. Il n’est plus possible d’envisager aujourd’hui la question du sujet pensant exclusivement sur le mode du cogito cartésien et il convient de prendre en compte la réalité des processus inconscients. De nombreux travaux confirment en effet que des processus non-intentionnels conditionnent l’activité intentionnelle, c’est-à-dire que la conscience se révèle à travers ce qui est non-accessible comme tel. Une conscience inconsciente ? La technique de l’écoute dichotique permet d’envoyer simultanément aux sujets deux messages auditifs différents. Il leur est demandé d’être attentif à l’un des messages. Chacun d’entre nous a une oreille dominante (généralement la droite) pour les sons linguistiques. Le message entendu sur le canal dominant est facilement répété, mais les sujets ne peuvent généralement pas dire grand-chose de ce qui s’est passé en même temps sur l’autre canal. Ils peuvent indiquer qu’ils ont entendu une seconde voix, dire éventuellement que c’était un homme ou une femme et savoir si la voix s’exprimait dans leur langue maternelle mais sont incapables de préciser ce qui a été dit. Dans l’expérience de Lackner et Garrett on fait entendre, sur le canal principal, des phrases ambiguës du genre » Le vol n’a duré que dix minutes « . Si l’on ne fait rien entendre sur le canal secondaire (ou quelque chose qui n’a absolument rien à voir) les sujets interprètent aléatoirement ces phrases ambiguës. Mais si on leur fait entendre sur le canal secondaire une phrase suggérant une interprétation telle que << Un cambriolage a eu lieu » ou » L’avion a eu une panne « , ils optent majoritairement pour l’interprétation suggérée bien qu’ils soient incapables de répéter ce qui a été dit sur le canal secondaire. Le message reçu par le canal secondaire doit donc être traité jusqu’au niveau sémantique et être compris bien qu’il ne soit pas consciemment perçu. Qui comprend le message secondaire ? Qui interprète la totalité du message ? Il y a dans cette expérience quelque chose de troublant: l’hémisphère gauche est semble-t-il capable de rendre compte de certaines informations gérées par l’hémisphère droit sans pouvoir explicitement dire lesquelles, alors que l’hémisphère droit serait capable de comprendre un message dont il ne peut explicitement rendre compte ! Il y aurait donc dans l’hémisphère droit une forme de conscience inconsciente à l ‘hémisphère gauche. {{Décision motrice et volonté consciente}} Potentiels de préparation motrice précédant un mouvement unilatéral de la main droite (en A) ou bilatéral (en B). Dérivations (de haut en bas) précentrale gauche, précentrale droite, vertex (Cz), pariétale gauche, pariétale droite et pariétale médiane. Le potentiel de préparation motrice est particulièrement ample au niveau du vertex et de la région précentrale. Le trait vertical (zéro) correspond au début du mouvement. Au vertex le potentiel de préparation motrice commence près de 1 500 ms avant l’acte. (D’après R. Kristera et al.) {{L’ incomplétude: un nouveau paradigme L’hémisphère gauche: un générateur d hypothèses ?}} Si on présente simultanément à un patient splitbrain (un sujet dont le corps calleux – ce faisceau de fibres nerveuses qui relient entre eux les deux hémisphères cérébraux- a été chirurgicalement sectionné) deux images (un chalet sous la neige, dans son hémichamp gauche, et une tête de poulet, dans son hémichamp droit, voir figure) et qu’on lui demande de désigner parmi plusieurs autres une image associée, il en désigne deux, une avec chaque main (une patte de poulet avec la main droite et une pelle à neige avec la main gauche). Si on lui demande d’expliciter la réponse de sa main droite, cela ne pose aucun problème à son hémisphère gauche verbal, mais ce dernier se trouve totalement désemparé pour justi?er la réponse de la main gauche (commandée par l’hémisphère droit). Il (son hémisphère gauche) ne tarde pas cependant à inventer une justi?cation de cette réponse de la main gauche (par exemple qu’ il faut une pelle pour nettoyer le poulailler). Le système cognitif de l’hémisphère gauche a besoin d’une théorie pour expliquer une réponse qui lui échappe. De même. si un ordre simple est projeté dans le champ visuel gauche comme « marchez », le sujet l’exécute et si on lui demande où il va, il (son hémisphère gauche) inventera instantanément une raison. L’hémisphère gauche se trouve confronté à la nécessité d’expliquer un comportement patent dont il n’a pas eu l’initiative. Pour Gazzaniga, ce phénomène est le fondement même du système de règles qui aident les gens normaux à se construire un sentiment personnel de perception consciente. Si on projette deux mots différents un dans chaque champ visuel, et qu’ on demande au sujet de dessiner de sa main droite une image de ce qu’ il voit, il dessine d’abord le stimulus reçu par l hémisphère gauche puis complète le dessin selon le stimulus reçu à droite. Si on lui demande de justifier cet ajout, il est étonné, fait quelques griffonnages supplémentaires et produit une interprétation plus ou moins adaptée. Dans la vie quotidienne, c’est en permanence que le sujet se trouve contraint d’interpréter des comportements réels dont la cause échappe à sa volonté consciente, en élaborant une théorie justifiant a posteriori les raisons de leur manifestation. {{Celui qui sait et celui qui dit}} Chez les sujets split-brain chaque hémisphère ignore ce que fait l’autre. Ainsi, ces patients ne peuvent nommer un objet placé hors de leur vue que s’ils le tiennent de la main droite. De même, ils rapportent verbalement les stimuli présentés dans leur champ visuel droit mais sont incapables de dire quoi que ce soit à propos des stimuli présentés dans le champ opposé (gauche, hémisphère droit). Cependant les sujets ou plutôt leur hémisphère droit perçoivent parfaitement ce qui leur est présenté dans le champ visuel gauche, comme en témoigne le fait qu’avec leur main gauche, ils sont capables de sélectionner l’objet correspondant parmi d’autres cachés à leur regard. Cette situation est encore plus caractéristique avec des stimuli à forte valeur affective. Si l’on pro jette dans l’hémichamp gauche (hémisphère droit) du sujet une photo de nu, il manifeste une réaction émotionnelle perçue par son hémisphère gauche qui nie verbalement avoir vu quoi que ce soit (ce qui est exact) mais qui, bien que ne sachant pas ce que l’hémisphère droit a effectivement perçu, va quand même construire une interprétation du trouble ressenti. L’hémisphère gauche, verbal, est donc capable d’élaborer des rationalisations fondées sur des indices partiels et parfois erronés produits par l’hémisphère droit. L hémisphère droit sait même s’ il ne peut pas dire. L hémisphère gauche ne peut s’ empêcher de dire même ce qu’ il ne sait pas ! {{Décision motrice et volonté consciente}} Le fait que, dans une large mesure. le sujet ne soit pas conscient des raisons pour lesquelles il est conscient (les mécanismes de la conscience échappent à la conscience) ne signifie certainement pas que la conscience soit illusoire et le sujet inexistant. Une expérience de Libet pose de façon très spectaculaire la question de l’existence d’un opérateur conscient qui échappe au mécanisme cérébral. Elle concerne l’acte moteur volontaire et touche directement au problème crucial du libre arbitre. Libet a en effet montré que le potentiel de préparation motrice qui est initié plusieurs centaines de millisecondes avant l’acte moteur volontaire comme l’a montré Kornhuber atteint son maximum environ 150ms à200 ms avant l’acte au moment où l’intention d’agir est éprouvée par le sujet. La conclusion quisemble s’imposer est que l’initiation cérébrale d’un acte moteur volontaire, spontané et totalement libre est d’abord inconsciente. Il existe cependant, selon Libet, au moins deux situations dans lesquelles le contrôle conscient est opératoire. Il peut y avoir, d’une part, une sorte de veto qui fait avorter l’acte initié même dans le cas d’un acte volontaire autonome. Cela reste possible parce que la prise de conscience de l’intention d’agir, même si elle apparaît bien après le début du potentiel de préparation motrice, se manifeste encore suffisamment tôt (environ 150 à 200 ms avant le début de la commande motrice proprement dite) pour interrompre le processus en cours. Les sujets de Libet ont effectivement rapporté de telles interruptions associées à des potentiels de préparation a vortés. {{ Le cerveau ne « contient » pas l ‘homme}} Ces expériences, particulièrement spectaculaires, dont l’interprétation reste largement ouverte, témoignent du fait que la conscience du sujet n’est pas réductible à ses conditionnements neurophysiologiques. Comme le souligne Pierre Lévy, « I’explication mécaniste s’arrête devant l’utilité non fonctionnlle du sujet pensant et cette difficulté ne tient ni à des préjugés religieux ni à des raisons théologiques >>. Le sujet est irréductible aux processus neuronaux qui conditionnent son effectivité. Il résiste à toute forme d’objectivation. Toute énumération physicaliste de la personne humaine est -et sera toujours-incomplète. Cette incomplétude- cette radicale impossibilité d’exhiber la totalité que je suis- ne permet de conclure objectivement ni à la présence certaine, ni à l’absence certaine, d’un opérateur métaphysique. Les données objectives ne sauraient permettre- sans contradiction évidente – d’attester de manière irréfutable l’existence de ce qui, par nature, leur échappe. L’homme ne se contient pas Ce qui le constitue – son origine – lui éhappe. Notre hypothèse consiste à dire que le sujet (I’esprit, le sens) ne cause pas, au sens physique habituel du terme le fonctionnement des neurones, mais s’identifie à la causalité qui s’exprime dans ce fonctionnement. Or la causalité n’est pas représentable: elle se montre dans les » causes »qui conditionnent /e fonctionnement du cerveau. Le rapport de la condition (le cerveau) et de l’inconditionné (I’esprit) constitutif du sujet n’est donc pas représentable: il ne peut q’être vécu que la conscience du sujet n’est nement neurophysiologiques L’INCERTITUDE: ÉCHEC DE LA RAISON OU RAISON D’UN ÉCHEC Au contraire du paradigme de la science classique, dominé par les notions de permanence et de stabilité, de prévision et de maîtrise, I’émergence de la physique quantique et la mise en question simultanée des fondements de la logique marquent l’avènement dans le champ du rationnel, des notions d’incertitude(d’incomplétude, d’indécidabilité, qui modifient radicalement le statut de la connaissance et celui du sujet connaissant. Toutefois, alors que cette incertitude pouvait apparaître comme réductible. négligeable, résiduelle, l’évolution de la science contemporaine nous invite à prendre toute la mesure de la positivité de cette incertitude qui se révèle être la condition même de la connaissance. La fin du rêve laplacien: l ‘avènement d ‘un nouveau paradigme Le projet laplacien n’a pas survécu à son siècle. Si, en effet, pour un système composé de deux corps en interaction, les lois de Newton permettent de prévoir complètement son évolution dès lors qu’on connaît les différentes composantes des trajectoires de chacun, ceci n’est plus possible pour un système à trois corps (et a fortiori pour un système à n corps). Pour décrire complètement l’ évolution de la position de trois points en interaction dans l’espace. il faut maîtriser un système de neuf relations du type y = f(t). Poincaré a démontré qu’une solution complète au problème des trois corps, c’est-à-dire permettant de calculer leur position à chaque instant par simple substitution à partir des neuf équations en question est rigoureusement impossible. Cela ne signi?e pas qu’il soit impossible de calculer point par point ( pas à pas) de telles trajectoires. mais qu’il n’existe pas (et ne peut pas exister) de solution analytique générale au problème des trois corps. la prévisibilité complète est donc impossible. Cette première démonstration d’impossibilité inaugure une série de résultats qui, dans les premières décennies du XXe siècle ont définitivement mis un terme à toute velléité de totalisation du savoir. Wittgenstein et l’indicible La prétention à la complétude du discours scientifique qui va de paire avec la revendication de certitude. suppose l`existence d’un lantiaoc susceptible te refléter la totalité du réel. Ce sont les conditions de possibilite d’un tel language que Wittgenstein cherche à définir dans Ie « Tractatus logico-philosophicus » Cette démarche conduit finalement à constater que la structure logique du langage ne peut être décrite à l’intérieur du langage lui-même (le théorème de Gödel, dont il sera question plus loin, exprime la même impossibilité pour tout système formel).Si, pour Wittgenstein, la totalité du langage représente la totalité de la réalité et constitue un tableau complet du monde, il reste que, dans le langage et à travers lui, se montre quelque chose qui ne peut être dit et qu’il appelle » I’élément mystique « . La proposition constitue la projection (le tableau) d’un état de chose possible. Mais le sens de la proposition ne peut être représenté dans le tableau. Autrement dit, ce dans quoi ou grâce à quoi on représente, n’est pas représentable (est inexprimable). On peut montrer le sens d’une proposition en accumulant les traductions, mais on ne communiquera jamais que des propositions. L’essentiel, c’est ce qui ne peut pas être dit. Le langage nous permet de dire comment est le monde. Mais il ne nous permet de dire ni ce par quoi il est langage (ce par quoi il a un sens), puisque le fondement de la possibilité du sens est par nature non dicible, ni ce par quoi le monde est ce qu’il est (ce en quoi il trouve son fondement). Le sens se montre dans la structure même de l’énoncé mais ne se dit pas. Il y a donc de l ‘inexprimable au-delà du langage. Mais cet inexprimable n’est pas radicalement étranger au langage, il n en est pas complètement séparé. Au contraire, bien qu’il ne puisse pas être dit, il se révèle comme ce qui limite le langage et en même temps le rend possible. Qu il y ait de l’indicible, c’est finalement la condition pour qu’il y ait du sens. Gödel et l’indécidable Nous venons de voir avec Wittgenstein que le langage ne peut pas refléter adéquatement la totalité. Pourtant, la science classique – avec son rêve de prévisibilité absolue – affirme sa volonté de construire un système de représentation exhaustif. Mais pour constituer un tel système formel il faudrait pouvoir démontrer sa cohérence (sa consistance) de manière absolue, sans avoir à présupposer la cohérence (la consistance) d’aucun autre système. Pour éviter le piège de la régression in?nie des énoncés justi?cateurs et celui des fausses évidences de l’expérience sensible, il faudrait donc pouvoir démontrer que la logique est complète et non contradictoire, sans avoir recours à d’autres ressources que les siennes propres, c’est-à-dire qu’elle se suffit à elle-même. La tentative la plus élaborée fut celle de Hilbert, qui prétendait pouvoir démontrer la consistance absolue de la logique de manière purement formelle. Or, les travaux de Gödel sont venus mettre un terme aux prétentions du programme de Hilbert et ruiner définitivement toutespoir de démonstration de la consistance absolue de la logique. Les résultats de Gödel indiquent, en substance, qu’il est logiquement impossible de donner une démonstration méta-mathématique de la consistance de l’arithmétique et qu’il existe donc des propositions d’arithmétique vraies qu’on ne peut pas déduire des axiomes (des énoncés vrais non démontrables). Il s’ensuit qu’aucune théorie ne peut apporter par elle-même la preuve de sa propre consistance et que l’autodescription complète est logiquement impossible. La consistance implique l ‘incomplétude et la complétude ne peut être obtenue qu’aux dépens de la consistance. La logique ne se contient pas. Heisenberg et l ‘indétermination La physique quantique constitue, on le sait, une remise en cause radicale de notre conception de l’univers associée à un changement, non moins radical, du statut de l’observateur. La réalité décrite par la physique n’est plus indépendante des modalités de la description. L’observation suppose la participation d’un observateur et implique une observ ation avec l’objet observé. Mesurer, c’est agir sur le réel ou plutôt interagir avec lui. Une telle interaction perturbe nécessairement l’objet et il s’ensuit que toute mesure est entachée d’une irréductible indétermination expriméé, dans le formalisme de la physique quantique, par la célèbre relation d’incertitude (d’indétermination) de Heisenberg. L’incertain apparaît ici coextensif -sinon du Réel – du moins de la connaissance que nous pouvons en avoir. Le principe de complémentarité de Bohr met un terme définitif à la dualité onde-corpuscule. L’aspect ondulatoire et l’aspect corpusculaire sont deux expressions complémentaires d’une même réalité. C’est l’acte de mesure, c’est-à-dire l’interaction avec un instrument de mesure et un observateur, qui fait basculer la particule d’un aspect à I’autre. Mais la connaissance de chacun de ces deux aspects est mutuellement exclusive. C’est ce qu’exprime la relation d’incertitude de Heisenberg selon laquelle il est impossible au niveau micro-physique d’attribuer à une particule, simultanément et avec la même précision, une position et une vitesse (quantité de mouvement) déterminées. Cela est lié au fait que pour apprécier la position, il faut utiliser un rayonnement qui va modifier la vitesse. La précision sur la position et le produit des incertitudes ne peuvent pas être inférieur à une valeur fixée par la relation de Heisenberg. Il y a donc une limite absolue un butoir à la connaissance de l’objet quantique. « De tout cela émerge la vision d’un univers irrésolu » Lacan et l’incomplétude Même si cela peut paraître surprenant d’enchaîner de la physique à la psychanalyse, il est pourtant tout à fait remarquable de constater que Lacan se situe dans la même logique que les trois auteurs précédents: celle de l’incomplétude. Le sujet, selon Lacan, est un sujet divisé, » un sujet barré « . Précédé par le langage. il ne peut se structurer qu’autour d’un manque. On est toujours obligé de présupposer quelque chose dont on n’est pas le maître. On ne peut, en effet, rien dire du signifiant qui nous précède mais seulement en constater les effets. Il faut assumer ce manque, accepter l’incomplétude, la faille, la castration, admettre que nous ne sommes pas tout, que nous n’avons pas accès au tout. Mais un tel manque est structurant, c’est avec lui que s’opère dans le langage -le passage de l’imaginaire au symbolique, de la jouissance au désir. Ce que Lacan appelle l’objet – cause du désir – n’est jamais atteint. Il n’y a jamais coïncidence totale entre la demande et ce qui serait une réponse complète à cette demande. Quelque chose échappe – qui est de l’ordre de l’origine – et c’est pourquoi il convient de n’enfermer le sujet dans aucune forme d’objectivité. On n’a pas prise sur le sujet. Il y a là quelque chose d’irreprésentable. Le désir du sujet circule de signifiant en signifiant mais, contrairement aux signes, le signi?ant n’est pas un message. C’est ainsi qu’il n’y a pas de signifiant qui se signifierait lui-même. Il n’y a pas non plus de méta-langage. Ce qui fait arrêt à la chaîne des signi?ants n’est donc pas un signi?ant ultime qui s’égalerait à sa propre signification mais une fonction que Lacan appelle la fonction » paternelle . Avec la division originelle du sujet. on retrouve le même type d’alternative que chez Gödel ou Heisenberg. On ne peut pas ne pas choisir puisqu’on ne peut pas à la fois penser et être. et ce que l’on gagne d’un côté,on le perd de l’autre. Quoiqu’on choisisse, on perd quelque chose. La métaphore de »la bourse ou la vie » est ici très parlante. Je ne peux pas garder et ‘la bourse » et « la vie ». Je ne peux garder la vie qu’ elidée (écornée) de la bourse. Il apparaît à I’évidence que tant l’étude du langage (Wittgenstein) ou celle de la logique (Gödel) que celle de la structure de la matière (Heisenberg) ou de l’inconscient (Lacan) débouchent sur le même constat d’incomplétude le même horizon d’indécidabilité, la même impossibilité à limiter le vrai à la totalité de ce qui peut être dit, formellement démontré ou immédiatement mesuré. Ce qui échappe m ‘échappe Tout ce qui précède conduit au même constat: ça échappe. Reconnaître que quelque chose est formalisable c’est aussi reconnaître que quelque chose de cette chose échappe nécessairement. La formalisation serait impossible si elle n’impliquait pas que quelque chose échappe. Tout ensemble de traces (toute écriture, tout langage, tout système formel, toute mesure) suppose un insu qui, précisément, ne laisse pas de trace mais se manifeste dans les blancs de l’écriture. Le socle même de l’écriture ne peut s’écrire comme le socle du langage ne peut se dire, comme le socle de la logique formelle ne peut se formaliser. Bien que ne pouvant ni s’écrire, ni se dire, le fondement se montre dans l’acte de parole ou d’écriture. Il désigne ce que je dois d’emblée admettre pour que la connaissance soit possible. En fait, élaborer une théorie de la connaissance, c’est élaborer une théorie de ce qui nous échappe et quand on parle de ce qui échappe on en parle toujours à côté. On peut affirmer que quelque chose échappe mais on ne peut pas dire ce qui échappe. Aucun ensemble de traces n’est donc absolu et aucun discours ne peut s`affranchir du fait qu’il n’est pas complet. On se sert cependant de ce qu’ on ignore parce qu’ on peut l’ effectuer en acte. Mais ce qui est de l’ordre de l’effectuation n`est pas formellement décelable. Puisque la construction initiale est fondée sur l’hypothèse que les blancs ne sont rien, il est impossible de montrer qu’ils sont quelque chose dans ce système. Les blancs n’existent en fait qu’assumés. Toute écriture et tout discours suppose donc un sujet mais ce sujet ne laisse pas de trace. Or, il est toujours possible de nier l’existence de ce qui ne laisse pas de trace. Comment penser alors l’existence d’un sujet qui échappe ? Aux notions classiques de causalité linéaire, réduction, intelligibilité complète, maîtrise, stabilité, prévisibilité, font place à celles de sensibilité aux conditions initiales, irréductibilité, incomplétude, incertitude, instabilité, imprédictibilité. De tout cela émerge la vision d’un univers irrésolu, d’un monde ouvert à la question de sa signification. Notes Bibliographiques M. Gazzaniga, Le cerveau social. Éd. R. Laffont, 1987. B. Libet, Unconscious cerebral initiative and the role of conscious will in voluntary action. Behavioral & Brain Sciences, 1985, 8: 529-539. P. Lévy, La machine univers. Éd. La découverte, 1987. L. Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus. Gallimard, Coli. Tel, 1961. E. Nagel, J. Newman, K. Godel, J.-Y. Girard, Le Théoreme de GodeL Éd. Seuil, 1989. W. Heisenberg. Physique et philosophie. Éd. A.Michel, 1961. J. Lacan, Écrits. Ed. Seuil, 1966. Par Jean Staune
Nous vous proposons de lire cet article de Jean Staune « Le non-darwinisme visionnaire de James Cameron » paru sur le site du Monde.fr en date du 21 janvier 2010. Cette contribution de Jean Staune dans la rubrique « Point de vue » du Monde.fr, intervient en réponse à une réflexion de Thomas Heams intitulée « James Cameron, encore un effort pour être darwinien ! » publiée dans la rubrique « Opinions » du quotidien du soir le 17 janvier et qui est disponible ci-dessous. Les grands films de science-fiction permettent souvent d’aborder de façon ludique des questions scientifiques ou philosophiques.Avatar ne fait pas exception à la règle en nous incitant à nous interroger si, sur une planète ou régnerait des conditions proches de la terre, l’évolution se déroulerait de façon relativement identique ou de façon tout à fait différente à celle ayant conduit jusqu’à nous. L’article de Thomas Heams (lire Le Monde des 17 et 18 janvier) repose sur la position darwinienne standard. Chaque trajectoire menant de l’ancêtre commun aux différents êtres vivants existant actuellement sur terre n’a été possible que grâce à l’accumulation d’un très grand nombre d’événements contingents, ce qui amène à penser que la probabilité de revoir la même trajectoire se dérouler, non seulement sur terre mais aussi ailleurs dans l’univers, et arriver au même résultat, est quasiment nulle. C’est ainsi que Heams reproche (de façon humoristique) à Cameron de laisser penser que les structures des êtres vivants seraient « inéluctables et implacablement reproduites là où la vie réapparaîtrait ». Or c’est justement dans ce sens que se dirige quelques-unes des recherches les plus novatrices dans le domaine de l’évolution ! Ainsi, l’un des plus grands paléontologistes actuels, Simon Conway Morris, titulaire de la chaire de paléontologie de l’université de Cambridge, n’hésite pas à écrire : « Les mammifères et les singes sont apparus par le biais de trajectoires historiques spécifiques, mais dans ces cas (et dans beaucoup d’autres), les convergences variées en direction des mammifères et des singes indiquent que si chaque histoire est nécessairement unique, les formes complexes que l’on trouve au bout de ces processus ne sont pas simplement le résultat d’événements locaux et aléatoires. Sur toute autre planète aux caractéristiques équivalentes, je suggère que nous trouverons des animaux très proches des mammifères, et des mammifères très proches des singes. Non pas identiques, mais similaires, peut-être étonnamment similaires. » Il est évident que la contingence et le hasard jouent un rôle dans l’évolution, mais l’idée majeure de cette nouvelle approche réside dans le fait qu’ils sont canalisés de telle façon que l’évolution serait en grande partie reproductible et prédictible. On affirme parfois nous ne serions pas là si une météorite n’avait pas éliminé les dinosaures, mais dans ce cas, une ère glaciaire aurait fini par survenir, éliminant les grands animaux à sang froid et favorisant des petits animaux à sang chaud, et permettant à des êtres comme nous d’apparaître un jour ou l’autre. Au-delà de cette idée du hasard canalisé, d’autres mécanismes doivent être envisagés pour expliquer cette disposition de l’évolution à reproduire des schémas identiques en dépit des événements contingents. A une évolution qui se déroulerait majoritairement par sélection naturelle s’oppose l’idée d’une évolution qui se déroulerait principalement sous l’influence des lois de la nature. C’est ce qui explique que l’évolution pourrait ainsi se reproduire sur des planètes différentes à partir du moment où les conditions physico-chimiques seraient proches. Il est impossible de savoir quelle hypothèse est la plus crédible tant que nous ne pouvons étudier que des formes de vie issues d’une seule et unique planète. Mais c’est là qu’une série de résultats récents, publiés dans des grandes revues scientifiques telles que Science et Nature, nous fournissent, à défaut de preuves, des éléments en faveur d’une évolution reposant sur les lois naturelles et non sur la seule sélection. En étudiant d’une part des convergences qui existent sur terre (c’est-à-dire des cas où l’évolution parvient à des résultats identiques par des chemins différents) et d’autre part en montrant que les chemins suivis par l’évolution sont moins nombreux que prévus, ces travaux nous conduisent à des conclusions inimaginables il y a encore cinq ans : le fait qu’il existe seulement un petit nombre de chemins favorables implique que l’évolution peut être plus reproductible que ce que l’on pense généralement et peut être même prédictible. Ainsi, exactement à l’inverse de ce qu’affirme Thomas Heams, les progrès de la biologie contestent l’idée que l’adaptation et la contingence seraient les facteurs clés de l’évolution. On pourrait même en ironisant reprocher à Cameron de ne pas avoir été assez loin dans sa remise en cause de la contingence et dans sa défense d’une évolution répétable et prédictible. En effet, les animaux de Pandora ont six membres, alors que si l’on se fie aux travaux de Vincent Fleury (chercheur au CNRS, ndlr), on constate qu’il y a une logique et des contraintes telles à la formation de vertébrés terrestres pourvus de quatre membres, qu’il est tout à fait possible que le schéma tétrapode puisse apparaître sur Pandora et d’autres planètes. Cette nouvelle conception, intitulée structuralisme, renoue avec les pensées de certains scientifiques qui étaient évolutionnistes tout en étant parfois antérieurs à Darwin, comme Geoffroy Saint-Hilaire. Stephen Jay Gould, dans un de ses ouvrages, a réhabilité ce courant de pensée qui nous offre une alternative à la fois au darwinisme et à l’ »intelligent design ». Ces deux approches, pourtant opposées, ont en commun de considérer les êtres vivants comme des structures contingentes, façonnées par « l’horloger aveugle » de la sélection naturelle pour les darwiniens (voir l’ouvrage de Richard Dawkins portant ce titre) ou par un designer pour l’intelligent design. A l’inverse, le structuralisme considère les êtres vivants comme étant nécessaires. Leur structure générale est inscrite dans les lois de la nature. A l’instar des cristaux de neige qui possèdent toujours six branches quelques soient les conditions de leur formation, les grands types d’êtres vivants sont en mesure de réapparaître encore et partout là où les conditions physico-chimiques le permettent. Cette nouvelle vision de la vie, retrouvant d’anciennes intuitions, nous offre ainsi une troisième voie susceptible de déboucher sur de nouvelles découvertes. Par Jean Staune
« En quelle année d’études étudie-t-on l’âme en neurophysiologie ? » . En tenant ces propos le « rationaliste de service » avait la certitude d’asséner un argument définitif au cours de cette émission « J’y crois, j’y crois pas » de Tina Keiffer. Revenant à la charge il déclara « tous les scientifiques sont d’accord pour affirmer que la conscience n’est rien d’autre qu’une activité neuronale ». Comme c’est le cas dans ces émissions il n’avait en face de lui que bien peu de scientifiques (des « amateurs » , un couturier,etc…). Pourtant, bien qu’ils soient encore inconnus du grand public, de « vrais scientifiques » , c’est-à-dire des scientifiques dont notre rationaliste serait obligé d’accepter les titres et les publications faites dans des revues spécialisées, affirment que cela n’est pas si simple. Pour un Jean-Pierre Changeux disant que « l’identité entre un état mental et un état neuronal s’impose en toute légitimité » , ou un Prix Nobel comme Francis Crick affirmant que nous avec « toutes nos émotions, tous nos sentiments, nous ne sommes rien d’autre qu’un paquet de neurones ! « , il existe certes des Prix Nobel comme Sir John Eccles (« Nous sommes une combinaison de deux entités » ) ou Roger Sperry (« L’esprit doit être restauré dans sa position prestigieuse au-dessus de la matière » ) , pour affirmer le contraire. Mais il ne s’agit, dans un sens comme dans l’autre, que d’opinions. Ce qui importe, c’est que l’on dispose désormais d’expériences qui permettent de s’attaquer à la phrase de Changeux que nous avons citée. Benjamin Libet, de l’Université d’Etat de Californie, a réalisé de nombreuses expériences mettant en lumière les indices cérébraux de la conscience. Sa conclusion est que la relation entre l’expérience subjective, éprouvée par le patient, et l’activité neuronale n’est pas déductible à priori de l’observation physique. Selon lui, une connaissance complète des évènements neuronaux ne permet pas en soi de décrire ou de prédire l’activité mentale à laquelle ils sont associés. La plus célèbre expérience de Libet montre qu’un délai de 500 millisecondes est nécessaire pour que notre conscience perçoive une stimulation. En effet, si l’on intervient sur la zone adéquate du cerveau pendant ce délai, le sujet ne sera jamais conscient de la stimulation qu’il a reçue. Mais, en temps normal (lorsqu’il n’y a pas d’intervention), le sujet est conscient de la piqûre au bout de 25 millisecondes et non de 500 ! C’est à dire au début du processus de traitement de l’information par le cerveau ! Y a-t-il un processus « d’antédatage » de la perception, comme le pense Libet ? La conscience peut-elle remonter le temps ? Dans tous les cas, ce que cette expérience prouve de façon éclatante, c’est que le temps de la conscience n’est pas le temps des neurones. Certes, tout ceci ne prouve pas l’existence de l’âme. D’ailleurs on ne peut pas prouver directement l’existence de l’âme. Si elle existe elle est d’un autre ordre que la matière, on ne peut ni la peser, ni la mesurer. Toute preuve ne pourra donc être qu’indirecte, par la démonstration qu’il manque quelque chose pour expliquer la conscience, même si l’on a une connaissance parfaite des mécanismes neuronaux. En montrant de façon spectaculaire qu’il n’y a pas identité entre certains états mentaux et les états neuronaux qui leur sont associés, les expériences de Libet constituent la pierre angulaire d’une nouvelle vision de la conscience en cours d’élaboration. Libet est le premier à dire que le matérialisme est encore possible après ses expériences. Mais pas toutes les formes de matérialisme. Entre autres le « matérialisme éliminationiste » qui affirme à l’image de notre rationaliste que la question d’un esprit ou d’une âme indépendants de la matière ne peut même pas être posée, est lui-même… éliminé ! Comment tenir une telle position alors que l’on démontre que certaines activités mentales ne peuvent pas être décrites à partir des activités neuronales associées ? C’est pourquoi le philosophe Daniel Dennett, spécialiste des sciences cognitives et l’un des leaders du matérialisme outre-atlantique, a pu écrire au moment de la publication des premiers résultats de Libet que « si les expériences en question devaient être vérifiées ce serait un jour sombre pour le matérialisme » . Depuis, ces expériences ont été vérifiées, ce qui devrait inciter certains matérialistes à plus de retenue, puisque la neurophysiologie la plus avancée ne permet plus d’exclure une conception dualiste de la conscience où la « sphère mentale » ne peut se réduire à la « sphère neuronale » . Ce concept de l’existence d’une dimension irréductible à la matière se retrouve dans deux autres domaines scientifiques : la physique quantique et l’évolution de la vie. Saluons à ce propos l’élection de Bernard d’Espagnat à l’Académie des Sciences morales et politiques, section philosophie, car il a été l’un des principaux penseurs à avoir développé les conséquences philosophiques de la mécanique quantique. Saluons aussi la parution à la une de « La Recherche », revue de référence de l’establishment français, des travaux de Anne Dambricourt Malassé, dont les lecteurs de Nouvelles Clés avaient pu prendre connaissance en avant-première, et qui montrent que l’apparition de l’homme s’inscrit dans un processus se déroulant sur soixante millions d’années, processus insensible aux mutations aléatoires, aux changements du climat et de la végétation. Ce qui fragilise quelque peu la position de ceux qui affirment que notre existence ne saurait avoir la moindre signification. Libet, d’Espagnat, Dambricourt Malassé ne se connaissent pas, travaillent dans des domaines complètement différents, et pourtant tout se tient. Autour d’eux des dizaines de scientifiques participent, consciemment ou non, à la plus grande révolution conceptuelle depuis la révolution copernicienne : le passage d’un monde mécaniste, déterministe et matérialiste à un monde « réenchanté » , à la redécouverte d’une certaine « profondeur du réel » . Malgré les ricanements de matérialistes de plus en plus obligés de nier les faits (donc de sombrer dans l’obscurantisme qu’ils reprochaient auparavant aux religions) , et le discrédit que certains farfelus peuvent provoquer en utilisant ces conceptions à tort et à travers, de plus en plus d’évènements nous montrent la réalité de cette révolution que la présente rubrique a pour ambition de vous faire partager. Par Jean Kovalevsky
L’objet de ce texte est de vous faire partager quelques réflexions sur la complémentarité des richesses spirituelles et intellectuelles que nous offrent la Religion d’une part, et la Science de l’autre, ce qui m’amènera évidemment à traiter des relations qui existent entre elles. Je voudrais pour cela dépasser les aspects, qui ont d’ailleurs évolué au cours des siècles, pour transcender aussi bien la vision réductrice d’une Science isolée que celle d’une Religion considérée séparément du monde matériel, ou alors comme située au-dessus de tout. Je souhaite présenter un point de vue que je désirerais voir contribuer à une certaine convergence des approches si différentes que la Science et la Religion suivent dans leur recherche d’une description d’une Réalité qui, à mon avis, est unique.Avant d’aborder ce problème, faisons une remarque préliminaire. N’ayant lu que fort peu d’ouvrages sur ce sujet et n’ayant aucune culture théologique ou philosophique sérieuse, je livre ici des réflexions toutes personnelles, étant conscient que certains aspects que je vais aborder ont été certainement traités ailleurs bien mieux que je ne saurais le faire. Je me baserai donc uniquement sur la connaissance que j’ai de la pensée et des méthodes scientifiques et des enseignements de la religion Chrétienne. Cela dit, il est incontestable que cette tentation d’unifier les diverses approches de la Vérité est très ancienne puisqu’on la trouve dans les religions qui ont toutes une certaine cosmologie. Je ne citerai, pour la Religion Chrétienne, à part les récits de la Bible, que le point de vue de Saint Thomas d’Aquin (le Thomisme est toujours très vivant parmi les Catholiques) ou encore celui de Teilhard de Chardin. AntinomiesSciences et Religions ! Voilà bien deux domaines qui paraissent disjoints et passablement contradictoires. Disons que ces disciplines sont antinomiques. Certes, elles ont en commun de décrire chacune une certaine Réalité (et aussi, peut-être qu’elles considèrent toutes deux l’œuvre de Dieu, même si les savants athées ne le savent pas). Mais pour y parvenir, le cheminement est distinct et il ne faut pas s’étonner que leurs conclusions soient d’ordre différent. La Science adopte une approche dite de « méthode scientifique », mélange en proportions diverses d’observations, d’expérimentations et de déductions théoriques. La Religion est basée sur une révélation, mais contient également certaines formes d’expériences et de faits historiques, alors que l’exégèse joue un rôle important dans l’interprétation des textes. On reviendra plus loin sur ces aspects qui sont peut-être moins opposés qu’on pourrait le penser de prime abord. Pourtant, la différence entre les approches et une dissimilitude des discours produisent soit une situation conflictuelle, soit l’annexion de l’une par l’autre, soit encore une ignorance dédaigneuse de l’une pour l’autre. Dans le premier cas, la Religion a la tentation d’inclure dans sa conception du Monde certains résultats scientifiques tout en rejetant ceux qui lui paraissent contraires. Ainsi, par exemple, si certains aimeraient considérer le Big Bang comme une preuve de la création du monde par Dieu, d’autres rejettent la théorie de l’évolution des espèces en maintenant à la lettre les récits de la Genèse biblique. Inversement, les matérialistes scientifiques, sans parler des scientistes, rejettent toute idée de Dieu et, en tous les cas, considèrent que la Science se suffit à elle-même. Au mieux, il y a une séparation totale comme s’il s’agissait de deux mondes différents. C’est d’ailleurs la position prise par de nombreux scientifiques croyants même à l’heure actuelle : pour eux, il n’y a pas plus de rapports entre la Science et la Religion qu’entre la musique et la construction d’un barrage hydroélectrique, l’existence des deux n’étant pas remise en cause. Certes, un ingénieur des travaux publics peut aussi être mélomane sans pour autant composer des chants à la gloire du barrage de Serre-Ponçon. Mais, pour ma part, je ne peux pas, en tant que scientifique croyant aux Réalités présentées par la Science et la Religion, les dissocier et ne pas ressentir qu’il s’agit là de deux manières d’approcher quelque chose qui est UN et pour lequel on devrait un jour trouver une description synthétique. En effet, le Monde, (et je donne à ce mot le sens de tout ce qui existe, en opposition au mot Univers qui se rapporte au monde matériel étudié par l’Astronomie et les autres sciences) est tel que chacune de ces deux Réalités s’applique. Il doit ainsi y avoir une description cohérente qui les inclut toutes les deux. J’ai dit que Science et Religion sont antinomiques. Cela ne veut pas dire contradictoires. En nous référent au Littré, nous lisons que l’on peut concilier une antinomie. En prenant le sens que Kant donne à ce mot (sans pour autant le suivre dans toute sa logique), l’antinomie est une contradiction naturelle qui résulte non d’un raisonnement vicieux, mais des lois même de la raison toutes les fois que, franchissant les limites de l’expérience, nous voulons savoir de l’Univers quelque chose d’absolu. Une antinomie peut être résolue par une synthèse ; c’est bien ce que nous voulons faire. Antinomies en Religion et en ScienceOr, si l’on analyse cette notion d’antinomie, on constate qu’elle est profondément ancrée dans la doctrine chrétienne. Lorsqu’une antinomie se présente, elle tente non de faire un choix, mais d’en faire la synthèse. Ainsi, par exemple, un, deux et trois sont des notions bien distinctes. Or, le dogme trinitaire nous enseigne que Dieu est Unité–Trinité (Trinité consubstantielle et indivisible). Ce serait une erreur du point de vue chrétien d’y voir une contradiction sous forme d’une opposition entre monothéisme et polythéisme. Il faut transcender cette contradiction apparente : c’est là le fondement de la théologie chrétienne. On pourrait décrire de la même façon l’antinomie de présenter le Christ comme étant à la fois Dieu et Homme. Cette façon de résoudre les antinomies par une synthèse est tout à fait chrétienne et peut s’étendre à d’autres couples opposés tels que vie et mort ou corps et âme. Ainsi la mort n’est pas un aboutissement marquant la disparition de la vie, mais un passage qui la préserve. Le Chrétien garde ce passage présent à l’esprit, mais en attendant, il doit vivre pleinement. L’acceptation de la richesse de la dualité antinomique n’est certes pas aisée. Elle l’est peut-être encore moins à l’heure actuelle où on a tendance à tout opposer et réduire à des choix par oui ou non. C’est le syndrome du tout ou rien : le binaire 0 ou 1 des ordinateurs ou encore la logique du tiers exclu. Par exemple, pour en revenir aux religions, le Judaïsme a refusé l’antinomie Christ-Dieu. Plus tard, l’Islam attaquera violemment le dogme trinitaire au nom du monothéisme. C’est la raison pour laquelle j’estime que la pensée chrétienne est mieux préparée que d’autres à refuser l’opposition illustrée par la conjonction « ou » et à examiner la synthèse amenée par la conjonction « et », notamment entre elle-même et la Science. Au demeurant, de façon générale, le refus de telles synthèses conduit à des positions tranchées qui sont le fait des intégrismes religieux et des divers sectarismes. La pensée scientifique, marquée par le rationalisme déductif, notamment sous l’influence des mathématiques, a également de grandes difficultés devant une situation antinomique. Elle y est cependant de plus en plus invitée par l’expérience. Ainsi, la lumière est à la fois, selon la manière dont on l’observe, onde et particule. On sait que l’acceptation de cette antinomie a donné, par sa résolution, naissance à la théorie des quanta, une des théories les mieux prouvées de la Science moderne. On peut citer d’autres antinomies scientifiques : le chat de Schrödinger est mort et vivant à la fois, l’Univers est à la fois fini et sans bornes, une particule pourrait être en deux endroits différents en même temps, le temps est une notion relative et s’écoule différemment selon la vitesse des horloges (jumeaux de Langevin), etc… En parallèle, la pensée chrétienne s’est dégagée d’un conformisme littéral vis-à-vis des Écritures. Les exégèses, basées sur une meilleure connaissance historique et culturelle du peuple Juif et de leurs voisins et établies sur des raisonnements déductifs que ne renieraient pas les scientifiques les plus puristes, ont progressivement dégagé l’essentiel de la foi des croyances et traditions annexes. Le croyant peut maintenant bien mieux présenter sa religion d’une manière plus pure et plus raisonnée qu’autrefois. L’Église, elle-même, loin de rejeter la pensée rationnelle, appelle à resserrer les rapports entre la Science et la foi et à ne pas négliger l’apport de la raison dans l’approfondissement de la foi. Ainsi, les modes de pensée chrétiens et scientifiques se rapprochent et ont plus de points communs aujourd’hui qu’il y a un siècle. Je pense qu’on peut, et même qu’on doit, aller plus loin. Les vérités enseignées par la Science et la Religion sont apparemment antinomiques, mais comme dans les exemples précédents, on devrait pouvoir les rassembler en une sorte de synthèse. On vient de voir que les pensées scientifiques et religieuses se sont rapprochées par le fait qu’elles sont capables d’établir une synthèse de certaines antinomies. Un autre point de rapprochement est que les façons dont chacune approfondit et annonce sa vérité présentent aussi de fortes analogies. C’est ce que je voudrais maintenant montrer en les présentant successivement. La méthode scientifiqueLa Science est basée sur l’observation et l’expérimentation. Elle dispose d’un certain nombre d’outils tels que les récepteurs, les appareils de laboratoire, les ordinateurs, etc…(je simplifie évidemment). À l’aide de ces outils, on fait des mesures, on décrit de phénomènes. Mais une mesure n’est pas seulement un nombre, et une observation n’est pas seulement la relation d’un fait. Une mesure doit être accompagnée des conditions dans lesquelles elle a été réalisée (par exemple, la température, le champ magnétique, l’éclairement, etc…). De même, les faits rapportés doivent l’être dans leur contexte (par exemple, le comportement d’un animal correspond-t-il à une situation de peur, d’agressivité, de faim, défend-t-il son territoire, etc…?). Ces détails sont fondamentaux car le stade suivant est la recherche des relations de cause à effet ou des corrélations avec certains paramètres en vue de généraliser le phénomène en éliminant les conditions secondaires. L’observation ou la mesure se répète-t-elle lorsqu’elle est effectuée dans des conditions voisines ? Sinon quels paramètres faut-il fixer pour en assurer la répétitivité ? De quels paramètres ce phénomène dépend-t-il et de quelle façon ? En effet, deux dangers guettent le scientifique : 1- les généralisations hâtives (tous les chats de la ville sont gris parce qu’on en a vu trois de suite qui étaient gris). 2- la mise en cause du hasard (tel volcan est-il devenu actif par hasard, ou y a-t-il des causes profondes à détecter ?). Pour éviter ces errements, on s’appuie sur des théories c’est-à-dire des énoncés qui décrivent un certain nombre de phénomènes et qu’on essaie d’utiliser pour en expliquer un nouveau. On les appelle parfois « lois de la nature » (par exemple, la loi de la gravitation universelle, les lois de l’électromagnétisme, celles de la génétique, la mécanique quantique, etc…). Ces théories subsistent tant qu’on n’a pas trouvé un phénomène qui les contredise. Toute nouvelle vérification expérimentale ajoute à la crédibilité d’une théorie. Une seule expérience bien établie qui contredit une théorie suffit à en prouver l’insuffisance et conduit à une avancée théorique génératrice de progrès. Les nouvelles théories englobent les faits précédemment avérés plus d’autres. On notera qu’à ce stade, l’imagination scientifique est un atout précieux : l’intuition joue un rôle important dans les découvertes. Mais il est intéressant de discuter la manière dont ces théories ou ces lois sont présentées. Les modèlesEn réalité, l’énoncé de ces théories ou de ces lois sous-entend la formule « tout se passe comme si… ». Newton l’a explicitement employé en énonçant sa loi de la gravitation universelle. Plus tard, l’observation du mouvement de la planète Mercure a montré que celui-ci n’y obéissait pas tout à fait. Alors Einstein l’a remplacée par un énoncé basé sur un principe totalement différent : tout se passe comme si l’espace était déformé par la présence de matière, les planètes suivant des trajectoires déterminées par la courbure d’un tel espace. Mais la loi de Newton reste une excellente approximation. Dans le langage scientifique moderne, le « tout se passe comme si » s’appelle « modèle ». Ce mot est révélateur: la Science ne prétend pas atteindre la Réalité, mais en donne une description ou, si on préfère, une transcription. Cette notion de modèle est omniprésente dans la Science. L’avènement des ordinateurs en a multiplié l’usage. On modélise une étoile, le climat, une molécule complexe, la trajectoire d’une particule ou les remous provoqués par un avion. On se donne les lois physiques qui gouvernent le phénomène et on écrit les équations qui représentent ces lois appliquées à l’objet étudié dans les conditions où il se trouve, puis on les résout. La solution est comparée aux observations et on modifie éventuellement les hypothèses jusqu’à satisfaire les observations. On obtient ainsi un modèle du phénomène qu’on peut d’ailleurs faire évoluer en modifiant des paramètres. On voit ainsi qu’un modèle est une construction abstraite qui permet de décrire un objet ou un phénomène, que ce soit sous la forme d’analogies, de formules mathématiques, d’un ensemble d’hypothèses, de graphiques, de représentations imagées, etc…Il est important d’insister sur le fait que ce n’est pas la Réalité qui est rétablie (on ne sort pas une étoile d’un ordinateur !), mais bien une représentation simplifiée sous une forme qui en facilite la compréhension. Ainsi, pour en revenir à l’exemple d’un modèle d’étoile, on donnera les distributions des températures, des pressions et de la matière à l’intérieur d’une étoile telles que les caractéristiques observées à sa surface (spectre, température, dimensions) soient retrouvées. Mais rien ne prouve que le modèle trouvé soit le seul possible et qu’il reste des éléments inconnus qu’on n’ait pas encore mis en évidence. On a parlé, dans un autre contexte (théorie quantique des particules élémentaires) de « réalité voilée » lorsqu’il est fondamentalement impossible de représenter un phénomène dans tous ses détails. Je dirai volontiers que, de la même manière, tout modèle ne dévoile qu’une partie de la réalité et ce d’une façon indirecte. La Vérité scientifique est donc toujours présentée et même connue de manière cryptée, incomplète ou encore voilée. De là à nier l’existence d’un monde objectif et considérer que tout est image est une tentation à laquelle certains ont cédé, mais je ne les suivrai pas sur cette pente qui mène au nihilisme total. Un autre aspect de la Science, qui a profondément marqué son image, est son pouvoir de prédiction. Le Scientisme du 19e siècle, à la suite de Laplace, est basé sur le fait que si l’on connaissait parfaitement les causes (c’est-à-dire les lois de la Nature) et les conditions initiales exactes d’un phénomène évolutif (par exemple les positions des planètes à un instant donné), on pourrait en déduire exactement son évolution dans l’avenir. On sait maintenant que certaines lois de la physique macroscopique ont un caractère statistique basé sur la loi des grands nombres (2e principe de la thermodynamique) alors qu’en physique des particules, il existe une incertitude fondamentale (d’après le principe de Heisenberg, on ne peut pas observer avec une grande précision à la fois la position et la vitesse d’une particule). D’autres lois parfaitement déterministes, comme la loi de la gravitation universelle, peuvent conduire à des situations instables menant à une incertitude sur l’évolution d’un système, d’autant plus forte qu’on ne peut pas connaître avec une précision infinie les conditions à un instant donné (chaos déterministe). On a aussi introduit la notion de chaos quantique. Tout ceci contribue au flou de la réalité physique et même des modèles tendant à la représenter. Pour terminer ce tour d’horizon de la représentation de la Réalité scientifique il faut signaler un autre danger dont l’image de la Science souffre parfois. Il est certes bon de présenter au public les résultats et les théories scientifiques, mais souvent la vulgarisation simplifie encore plus, parfois à outrance, les modèles. Ceci donne des images simplistes de la Réalité, en supposant qu’en ce faisant, elle n’est pas trahie, ce qui est malheureusement souvent le cas. La ReligionL’originalité des religions est qu’elles sont basées sur une révélation. Mais cela ne suffit pas. Il ne suffit pas de se déclarer messie ou gourou pour imposer le message qu’on a reçu (ou que l’on a cru recevoir). Les confirmations isolées ne sont pas suffisamment crédibles pour établir une religion. La révélation n’est vraiment admise comme telle que si elle est accompagnée et suivie de très nombreuses expériences personnelles ou collectives, solitaires ou partagées. Il peut s’agir de faits observés, de témoignages, d’expériences mystiques ou spirituelles, de rencontres, de réflexions, de conversions soudaines ou progressives. Certaines de ces expériences sont ésotériques, d’autres sont transmissibles. C’est cette transmission qui fait, par exemple, la force et la continuité des ordres monastiques. C’est l’accumulation de ces évènements qui constitue le terreau sur lequel la Religion se développe, confortée par la Tradition et les approfondissements doctrinaux et constituant en définitive, un ensemble tout aussi impressionnant que les bases d’une théorie scientifique. Cependant, dans la mesure où la description des faits religieux n’a pas la rigueur des mesures ou des observations scientifiques et que, d’autre part, elle passe par une interprétation personnelle, sinon émotionnelle, elle se trouve être beaucoup plus sensible à l’environnement culturel ou philosophique. Pourtant, la Science fourmille également d’erreurs associées à des préjugés. Ainsi, des exemples récents, comme les théories de Lyssenko, montrent que la Science n’est toujours pas à l’abri d’erreurs associées à un préétabli philosophique ou politique. Prenons l’exemple de la Religion chrétienne. La révélation fondamentale se trouve dans les Évangiles, encore qu’elle ait été préparée par les révélations de l’Ancien testament. Les Évangiles relatent des faits et transmettent l’enseignement du Christ, ce qui concourt à établir la véracité historique et le contenu du dogme. Je voudrais, à titre d’exemple, attirer particulièrement l’attention sur l’enseignement relatif au Royaume de Dieu. Il est donné sous forme de paraboles. Or, qu’est-ce qu’une parabole sinon une vérité profonde et indescriptible représentée par une analogie qui utilise une image ou un récit suggéré par l’environnement culturel des auditeurs ? Ainsi, le Royaume de Dieu est présenté par plusieurs paraboles commençant par les mots « à quoi comparerais-je le Royaume des Cieux? Il est semblable à… ». C’est exactement l’équivalent d’un modèle en Science. L’amour de Dieu pour les hommes est présenté comme celui d’un père pour son fils prodigue ou du patron donnant le plein salaire à des ouvriers n’ayant travaillé qu’une heure. Ce sont encore des modèles. Je dirais même de la vulgarisation. Ce sont encore des modèles que l’Église Orthodoxe présente aux fidèles sous forme d’icônes. À première vue, ce sont des représentations stylisées de personnages ou d’évènements, bien différentes des peintures religieuses occidentales. Ce sont des modèles que le croyant interprète comme des fenêtres sur le Royaume de Dieu en les vénérant, ce qui contribue à l’affermissement de leur foi. C’est à travers elles qu’il prend contact avec cette réalité religieuse si difficile à cerner. Cependant, la réceptivité à ces représentations a un côté culturel. D’autres sont plus sensibles à d’autres modèles ou symboles comme le cierge pascal ou les lieux d’apparition de la Sainte Vierge. Ces symboles et ces modèles sont, dans la Religion, encore plus éloignés de la réalité qu’ils représentent qu’en Science. Il s’ensuit que, bien plus encore que dans le cas de la Science, la connaissance religieuse est partielle et imparfaite et sa transmission est encore plus simplificatrice et déformante. On peut donc dire que la Réalité religieuse nous parvient, tout comme la Réalité scientifique, sous une forme voilée. La difficulté supplémentaire est que l’interprétation est plus personnalisée, ce qui peut expliquer la diversité des grandes familles religieuses chrétiennes. Interpénétration de la Science et de la ReligionUne position très fréquemment prise est la suivante : à chacun son métier et les vaches seront bien gardées : laissons à la Science le soin de dévoiler le « comment » des phénomènes naturels et que la Philosophie ou la Religion réfléchissent sur leur « pourquoi ». C’est net, mais bien simpliste, puisque les deux s’intéressent au même Monde. Le meilleur moyen d’éviter les conflits n’est-il pas de ne pas piétiner les plates-bandes de l’autre ? Cela revient à refuser intégralement l’approche de l’autre, donc à acculer l’une à un dogmatisme intégriste et l’autre à un matérialisme et le scientisme non moins sectaire. Ces deux points de vue extrêmes sont beaucoup trop rigides. Cela revient à résoudre l’antinomie entre les deux approches par une séparation binaire définitive. Or, bien au contraire, un dialogue doit s’instaurer en vue de rechercher une réponse synthétique à certaines questions fondamentales communes. De même qu’il n’est pas possible de répondre à la question du pourquoi sans connaître le comment, inversement, une vision globale du Monde ne peut se passer d’une interprétation philosophique explicite ou implicite des grands problèmes qui se posent à l’esprit. Donnons quelques exemples. L’Univers est tel que des êtres vivants, puis pensants ont pu apparaître. Avant d’en discuter le pourquoi, c’est à la Physique de poser correctement le problème. C’est aux scientifiques de dire entre quelles limites les valeurs des quelques constantes universelles doivent se situer pour que des éléments lourds puissent se former au sein des étoiles, pour que l’Univers n’ait pas implosé avant que la vie ait pu apparaître, pour que des réactions chimiques complexes puissent se produire sous certaines conditions et que les constituants biologiques de base ainsi formés soient stables, etc… Si, comme certains calculs tendent à le montrer, les intervalles favorables sont très faibles, alors le problème du hasard ou d’une Volonté extérieure se posera à la fois à la Science et à la Religion et il serait malhonnête de part et d’autre de l’éluder, même si on peut s’attendre à ce que plusieurs réponses soient proposées. Un autre exemple est donné par la constatation que, contrairement à la Mécanique statistique qui régit la Thermodynamique, on constate une tendance fréquente sinon générale à la formation d’éléments de plus en plus complexes (atomes lourds, molécules simples, puis celles qui caractérisent la vie). On constate que cette tendance est génératrice de progrès, ce qui pose immédiatement la question du pourquoi. Science et Religion ont toutes deux leur mot à dire (c’est d’ailleurs ce qu’a tenté de faire Teilhard de Chardin). L’une sans l’autre ne pourra donner qu’une réponse incomplète : les scientifiques auraient tendance à y mettre, volontairement ou non, un préalable positiviste ou métaphysique tandis qu’une interprétation strictement religieuse, non basée sur des résultats scientifiques, mènerait à un créationnisme primaire. On pourrait de même approfondir les mystères de la Vie, qu’il s’agisse de sa nature ou de son origine, en confrontant les approches religieuses de ces problèmes aux acquis de la Science. On pourrait en dire autant de l’origine de l’Univers ou du destin de l’Humanité, etc… Bien que toujours voilé, ce qui sortira de cette synthèse aura une légitime prétention d’être plus complet et se rapprocher de la Réalité profonde. C’est en tous les cas dans ce sens qu’il faut aller pour résoudre l’antinomie entre la Science et la Religion, ces deux classes d’approche de la Vérité. Pour aller plus loin, il est utile d’aborder cette notion de vérité des points de vue de la Science et de la Religion. Vérité scientifique et Vérité religieuseLa Science et la religion prétendent, par des cheminements dissemblables, mais qui ne s’excluent pas, chercher la vérité et la transmettre. Malgré la différence de leurs approches, elles procèdent pourtant en partie de la même logique. Nous avons vu que les résultats des recherches scientifiques se présentent sous forme de modèles que l’on cherche à rendre cohérents entre eux, avec les observations et avec les lois fondamentales de la Physique. Ces modèles permettent aux scientifiques de donner une représentation accessible des observations et des mesures et de rendre compte de la répétitivité des effets lorsque les causes sont fixées. Dans le cas de la Religion, dans laquelle les dogmes jouent le même rôle que les lois de la Physique en Science, les modèles sont constamment confrontés aux expériences religieuses et spirituelles des croyants, la cohérence de l’ensemble étant un des objectifs des théologiens. Je voudrais insister sur cette analogie. De même que les théories scientifiques évoluent lorsque les observations l’exigent, il y a aussi enrichissement de la théologie lorsqu’il y a consensus parmi les fidèles qui vivent leurs expériences religieuses. Les exégètes et les théologiens sont, en religion, les équivalents des théoriciens en Science. De même que les expériences ou observations scientifiques capitales conduisant à des lois sont reconnues par toute la communauté scientifique et deviennent incontournables pour modéliser la Réalité, les expériences mystiques essentielles sont reconnues par le biais de nouveaux dogmes chez les Catholiques, une évolution plus progressive et plus nuancée chez les Orthodoxes, une certaine libéralisation des concepts chez les Protestants et aussi par des béatifications ou des canonisations, par la création d’ordres religieux nouveaux ou plus simplement par consensus, et contribuent ainsi à enrichir la vérité religieuse et sa tradition. Peut-être est-ce parce que les deux approches sont liées à la façon dont fonctionne l’esprit humain, mais le fait est que la recherche de la Vérité suit un processus analogue en Science et en Religion et ceci, avec la même rigueur. Certes, les « preuves » de ces vérités ne sont pas du même ordre, mais elles sont issues de la même démarche. La preuve de la Relativité restreinte se trouve par exemple dans les mesures effectuées dans les accélérateurs de particules. La preuve de Dieu se trouve dans les témoignages ou les expériences mystiques. Bien entendu, n’importe qui ne peut pas renouveler personnellement des expériences mystiques. Est-ce une raison pour les nier ou en nier la signification ? Je défie l’homme de la rue de renouveler pour son propre compte une expérience d’accélération des particules. Est-ce une raison pour en nier les résultats et leurs conséquences théoriques ? Tout le monde n’est ni Einstein, ni Sainte Thérèse de Lisieux. Dès lors se pose le problème de la communication et de l’adhésion à ces Vérités. Confiance et FoiJe suis scientifique. Je comprends les méthodes de recherche et de raisonnement utilisés par mes collègues, mais dans 99 % des cas, je suis incapable de vérifier leurs expériences ou de les suivre dans leurs déductions conduisant aux modèles qu’ils me proposent. Pour moi, et pour prendre des exemples dans des sciences très diverses, l’action de l’ARN ou des neurotransmetteurs, le calcul des prédicats, la théorie des quarks ou l’organisation des cristaux liquides, c’est de l’hébreux. Pourtant, je fais confiance à mes collègues et crois en leurs résultats, de même qu’ils me font confiance quand je leur présente ma spécialité scientifique que, en général, ils ne comprennent pas mieux. Je leur fais également confiance, même si au cours des recherches d’explication on voit apparaître des modèles divergents, parce qu’en définitive, il y a tout un réseau de relations entre les diverses sciences qui réunit l’ensemble des résultats scientifiques en une globalité cohérente. Cela n’exclut pas l’esprit critique. Il y a des erreurs scientifiques (et même des faux). On entend dire, et je l’ai moi-même dit : « je ne crois pas à ce résultat. » Cela se produit lorsqu’il se rapporte à un domaine que je connais, soit qu’il contredise mon expérience, soit qu’il heurte mes vues personnelles, vues forcément limitées, sur l’Univers physique. Si ces résultats se confirment, je dois les accepter et modifier mes idées. Mais il arrive aussi que des résultats annoncés comme étant sérieusement vérifiés, souvent médiatisés à outrance, se trouvent finalement être inexacts, justifiant alors le scepticisme qui les avait accueillis (exemple, la mémoire de l’eau, la cinquième force ou les avions renifleurs). Ces résultats hétérodoxes prennent extérieurement des allures scientifiques et c’est un rôle vital que de faire le tri aussi rapidement que possible car ils font un tort considérable à la Science. Ainsi, en dépit de ces errements, mais en ayant confiance dans la communauté des scientifiques pour séparer l’ivraie du bon grain, je crois en la Science et en ses résultats. Je suis Chrétien. Je comprends qu’il existe une vision religieuse du Monde et j’en ressens profondément la nécessité. Mais je suis à 99 % incapable de vérifier ce que l’on m’enseigne. Je n’ai pas eu d’expérience mystique, je suis nul en théologie, je suis incapable de soutenir une discussion sur le péché originel ou sur l’immaculée conception, mais je fais confiance à tous ceux, très nombreux, qui ont témoigné de leurs pratiques mystiques, à ceux qui vivent quotidiennement leur foi chez eux ou dans les monastères, et surtout, à cette tradition bi-millénaire qui est le fruit d’une immense accumulation d’expériences et qui constitue un tout cohérent et harmonieux. En d’autres termes, je fais confiance à tous ces témoignages et à toutes les confirmations qu’ils impliquent et cette confiance affermit ma foi. Dans ce domaine aussi, les erreurs existent. On a dit qu’une religion est une secte qui a réussi, tout comme en Science, il y a de nombreuses idées qui n’ont pas réussi. Si des sectes ne réussissent pas, c’est parce qu’elles ne recueillent pas le fonds de témoignages concordants nécessaire pour asseoir une religion. Comme en Science, en définitive, le tri se fait. Ainsi, ce parallélisme m’inspire la même confiance vis-à-vis de la Religion chrétienne que vis-à-vis de la Science. C’est pourquoi, dans ces conditions, il me paraît nécessaire qu’une vision du Monde doive comporter des éléments pris dans chacun des domaines avec un enrichissement mutuel. L’effort à faire pour y arriver est de résoudre leur antinomie par une synthèse issue d’un dialogue confiant. Ces deux visions devront se compléter et même se rejoindre et constituer un outil beaucoup plus efficace pour la connaissance et la compréhension du Monde que chacune d’entre elles prise séparément. C’est, en tous les cas, une telle synthèse, d’ailleurs toute personnelle, qui me permet de concilier ma foi Chrétienne et mon expérience scientifique. Une telle vision synthétique me permet de donner un sens au Monde, sans lequel j’aurais un sentiment d’incomplétude. Il y a une circonstance particulière qu’on ne peut pas éluder : malgré quelques variantes, la connaissance scientifique est globale, alors qu’il y a plusieurs grandes religions. Ce fait incite les matérialistes à prétendre que cela prouve que les religions sont vides de sens. Mais à l’examen, il faut constater qu’il y a un fonds commun à toutes les religions : la force de la Mystique, la puissance de l’Esprit qui peut interagir avec le monde matériel, la reconnaissance d’un Dieu – qu’il soit unique ou qu’il y en ait plusieurs – et une certaine possibilité de communiquer avec lui ou eux, le caractère non inéluctable ou définitif de la mort, etc… Il est certain que des adeptes d’une autre religion que la mienne pourraient tenir le même raisonnement que moi et justifier tout autant leur confiance en leur foi. Si l’on compare l’objectif d’une vie religieuse à l’escalade d’une montagne (encore un modèle !), il se peut qu’il y ait plusieurs voies pour l’atteindre. Mais il est essentiel de suivre celle qu’on a choisie et en laquelle on a confiance, car essayer d’en changer en cours de route, c’est prendre le risque de s’égarer ou de tomber dans un précipice. C’est pourquoi cela ne me gêne pas qu’il y ait d’autres religions qui sont fort respectables et peut-être aussi efficaces pour atteindre le sommet. Toutes peuvent apporter un plus à la vision du Monde purement scientifique. L’histoire des sciences nous donne un élément de comparaison. En effet, elle est apparue dans des pays très différents. Les sciences chinoise, assyrienne, inca, égyptienne, grecque sont très différentes. Pourtant, elles donnaient toutes des descriptions, des modèles valables à la précision qu’on pouvait alors atteindre, notamment pour les phénomènes astronomiques, la géométrie, la métallurgie, la mécanique. De même, les sciences appartenant à une même lignée se sont considérablement modifiées au cours des siècles. La Science du Moyen Âge, celles des 17e ou 19e siècles et la Science moderne ne se ressemblent pas. Pourtant toutes comprennent une portion de vérités scientifiques plus ou moins approximatives, plus ou moins bien exprimées, mais exactes. Qui peut dire ce que sera la Science du 22e siècle ? Pourquoi ce qui s’applique à la Science ne s’appliquerait-t-il pas aux religions si elles ont un certain fonds de Vérité, plus ou moins grand, plus ou moins bien exprimé ? Exemple de SynthèseOn en arrive dès lors au raisonnement suivant. Il est une Vérité scientifique et une Vérité religieuse. De plus, par définition, le Monde est unique puisqu’il contient tout ce qui existe. Or, Dieu existe (c’est la Vérité première des religions), et par conséquent il est dans le Monde. Donc, une Cosmologie totale doit l’inclure. Toutefois, comme l’étude scientifique de l’Univers matériel, avec ses trois dimensions et le temps, n’a pas permis de trouver Dieu, il faut en conclure qu’il transcende l’Univers matériel et qu’il faut étendre à d’autres dimensions le Monde qui nous concerne. Tout comme un être à trois dimensions pourrait toucher du doigt des êtres hypothétiques à deux dimensions vivant dans un plan sans qu’ils puissent même imaginer comment il est, Dieu pourrait être parmi nous et même en nous sans que nous nous en doutions. Dans un tel hyper-univers difficilement accessible autrement que par des modèles, mais que, d’ailleurs, les mathématiciens sauraient définir, Dieu et l’Univers matériel soit coexisteraient, soit seraient en symbiose. Une telle éventualité permettrait de résoudre l’antinomie Science-Religion tout en expliquant l’impossibilité de se représenter Dieu. Des qualificatifs tels que « Amour » ou « Vie » qu’on tente de Lui donner ne sont pas mesurables mais permettent, comme le prétend la Religion chrétienne, d’avoir une parcelle présente en nous (« le Royaume de Dieu est en vous »). Ainsi l’homme aurait une composante dans cette autre dimension extérieure à notre Univers matériel. On pourrait appeler cette composante « Âme ». Dans une telle vision, la Religion et la Science jouent un rôle complémentaire. D’ores et déjà, certaines propriétés de l’association onde-particule (expérience d’Aspect) ne sont pas compréhensibles dans l’état actuel de la Science et on a proposé de faire intervenir une autre dimension qui pourrait expliquer une transmission instantanée de l’information. Ce n’est pas pour autant la dimension divine, mais cela montre seulement que se restreindre à ce qui est directement accessible, à l’observation physique et à nos modèles actuels, est insuffisant. « Il y a aussi d’autres domaines, qui sont encore tabou dans la Science moderne, mais qui pourraient jeter des lueurs sur les relations avec l’Univers spirituel. Je ne citerai que les actions à distance comme l’hypnose ou certaines prémonitions, sans parler des visions répertoriées par la Religion. C’est un terrain glissant sur lequel il ne faut s’aventurer qu’avec la plus extrême prudence. Je pense néanmoins que s’y engager permettrait à la Science, non pas de rencontrer Dieu, mais de constater que le substrat dans lequel baigne la Vérité religieuse a une existence objective. ConclusionEn conclusion, je voudrais reproduire le paragraphe suivant du Prologue du Phénomène Humain : « Le moment est venu de se rendre compte qu’une interprétation, même positiviste, de l’Univers doit, pour être satisfaisante, couvrir le dedans aussi bien que le dehors des choses, l’Esprit autant que la matière. La vraie Physique est celle qui parviendra, un jour, à intégrer l’Homme total dans une représentation cohérente du monde. » « Depuis des siècles le fantôme de Copernic n’a pas cessé de nous hanter. L’homme a d’abord été délogé de sa place centrale dans l’Univers quand il a compris que la Terre tournait autour du Soleil, puis il a découvert que le Soleil , lui aussi, n’était pas au centre du Monde, qu’il n’était qu’une étoile de banlieue située aux deux tiers de la Voie Lactée ; enfin il a vu que notre galaxie elle-même n’était qu’une galaxie banale perdue parmi les milliards de galaxies qui existent dans l’Univers. »
Nous qui vivons à la fin du XXème siècle nous imaginons mal le choc incroyable que l’évolution décrite par ces propos de Trinh Xuan Thuan a exercé sur notre civilisation. Depuis qu’il existe l’Homme a toujours élaboré des conceptions le reliant à l’Univers, c’est sur de telles conceptions qu’il prenait appui pour définir le sens de sa vie. Aussi la découverte qu’il n’était qu’un infime grain de poussière perdu dans l’immensité de l’Univers semble avoir détruit à jamais l’existence possible d’un tel lien. En détruisant la conception anthropocentrique la Science des XVIIIème, XIXème et XXème siècles a laissé l’homme désespéré face à un monde désenchanté tout en légitimant les philosophies de l’absurde. L’humariste Marc Twain a entériné ce constat en écrivant : « Si la Tour Eiffel était une mesure du Monde, la couche de peinture qui couvre le dernier boulon vissé à son sommet représenterait la portion du temps dévolu à l’homme ; chacun comprendrait que cette Tour a exactement été construite pour cette couche de peinture, ou, du moins, je pense qu’il comprendrait, allez savoir. » Sur le plan scientifique Jacques Monod en a tiré la conclusion que la question même de la finalité ou du sens de notre existence et de celle de l’Univers est interdite en Science. C’est ce qu’il a appelé dans son ouvrage « Le Hasard et la nécessité » le postulat d’objectivité de la Science. Mais moins de dix ans après le livre de Monod cette question est réapparue au coeur même de la Science, « au moment où l’on s’y attendait le moins » (Trinh Xuan Thuan). En effet, les astrophysiciens se sont rendu compte que l’Univers où nous vivons est un Univers très particulier. On peut imaginer des milliers d’Univers différents du nôtre : des Univers où la vitesse de la lumière serait beaucoup plus faible, des Univers où la masse des particules élémentaires serait plus grosse, où leurs charges seraient différentes, etc… Or on peut montrer que tous ces univers ne pourraient accueillir la vie. Certes, on peut penser qu’il existe des formes de vie très différentes de la nôtre, mais la vie a besoin d’énergie, et dans notre Univers ce sont les étoiles qui génèrent cette énergie. Or dans un Univers très légèrement différent du nôtre les étoiles ne pourraient se former ou ne pourraient exister suffisamment longtemps pour que la vie puisse apparaître ! Prenons la vitesse d’expansion de l’Univers. Vous voulez l’augmenter un peu ? Le Big Bang se produit normalement, mais ensuite toute la matière qui se forme se dilue dans le néant ! En effet, l’expansion devenue plus forte « l’emporte » sur la gravitation, la force qui attire l’un vers l’autre les corps matériels. Devant un tel résultat vous voulez diminuer cette vitesse ? Cette fois-ci c’est la gravitation qui prend le dessus ! Elle l’emporte sur l’expansion et au bout de quelques millons d’années (avant que les étoiles aient pu apparaître ) l’Univers disparaît dans un Big Crunch. Vous voulez continuer à jouer au Créateur ? Augmentez donc un peu la force nucléaire forte, celle qui est responsable de la cohésion des noyaux d’atomes … vous n’allez pas tarder à le regretter : les réactions nucléaires s’emballent et les étoiles explosent comme des bombes, aucune vie ne peut se développer autour d’elles ! Si vous préférez diminuer cette force, alors les étoiles se formeront … mais ne s’allumeront plus, le « feu nucléaire » ne pouvant pas prendre. Vous voulez jouer avec les charges électriques des particules élémentaires ? Vous n’y avez pas intérêt ! Les atomes sont en équilibre parce que les charges électriques des protons (qui sont au centre) sont exactement les mêmes (à la 20 ème décimale près ! ) que celles des électrons (qui tournent autour) alors que les protons sont près de 2 000 fois plus gros que les électrons ! A la moindre différence entre ces deux charges électriques tout exploserait, car les atomes ne seraient plus stables. MAIS PERSONNE NE SAIT POURQUOI DEUX PARTICULES AUSSI DISSEMBLABLES QUE L’ELECTRON ET LE PROTON ONT LES MEMES CHARGES ! Il y a des dizaines d’autres coîncidences extraordinaires et toutes sont SIMULTANEMENT nécessaires pour que la vie apparaisse ! Que conclure ? S’il n’y a qu’un seul Univers celui-ci est réglé d’une façon si extraordinaire qu’il faut bien postuler l’existence d’un régleur. Mais si vous rejetez l’idée d’un Créateur, rassurez-vous, c’est encore possible. Néanmoins il vous faudra postuler l’existence … d’une INFINITE d’univers ! En effet, si vous jouez au Loto une infinité de fois, vous finirez par gagner, de même s’il y a une infinité d’univers il n’y en a qu’un qui possède le bon réglage, c’est le nôtre, et nous sommes donc là par hasard. Vous voyez donc que, contrairement à ce que l’on dit parfois un peu rapidement, la nouvelle Science ne démontre pas l’existence de Dieu. Mais ce qui est radicalement nouveau c’est que la question de Dieu, la question du sens de notre apparition ici sur Terre, se pose désormais au coeur même de la Science qui avait semblé l’exclure définitivement. Le fait qu’une telle possibilité existe au coeur même de la Science (et même que la possibilité contraire soit plus dure à envisager, car il faut postuler une infinité d’univers ! ) constitue une surprenante défaite du fantôme de Copernic. Il est tout-à-fait extraordinaire de voir comment, alors que nous approchons du 3ème millénaire, la vision que la Science nous offre de l’Univers est de nouveau compatible avec les intuitions de certains mystiques ou de certains poètes, comme le montre le rapprochement des propos du grand astrophysicien de Princeton Freeman Dyson » Certaines lois de la physique nucléaire semblent conspirer pour rendre l’Univers habitable (…) Je ne me sens pas étranger à l’Univers. Plus je l’examine et étudie en détail son archtecture, plus je découvre de preuves qui attendaient sans doute notre venue » avec ceux tenus par Paul Claudel soixante-dix ans plus tôt : « Ce que peindront mes Odes, c’est la joie d’un homme que le silence éternel des espaces infinis n’effraie plus mais qui s’y promène avec une confiance familière. Nous n’habitons pas un coin perdu d’un désert farouche et impraticable. Tout dans le monde nous est fraternel et familier . » Bibliographie - La Mélodie Secrète. Trinh Xuan Thuan Fayard Un ouvrage de référence accessible à tous (Voir les derniers chapitres pour le principe anthropique) - Le Principe Anthropique. J. Demaret. D. Lambert. Armand Colin. L’ouvrage le plus complet en langue française, d’un abord parfois ardu. - Les Dérangeurs d’Univers. Freeman Dyson. Payot. (Voir Chapitres 23 et 24) (“The Formalist Challenge to Darwinism”)[1]M.J. Denton Il est généralement reconnu que tout être organique a été formé par deux lois générales : l’Unité de Type et les Conditions d’Existence. Par unité de type, on entend un accord fondamental dans la structure, que l’on voit dans des êtres organiques de la même classe, plutôt indépendant de leurs habitudes de vie …. Charles Darwin (1872) Origin of Species, 6th Edition (“l’Origine des Espèces”, 6ème Edition). La plupart des organismes sont bien adaptés à leur environnement immédiat [conditions d'existence], mais sont aussi construits selon des plans anatomiques de base qui transcendent toute circonstance particulière. Pourtant, de façon curieuse, les deux principes semblent opposés – car pourquoi des structures adaptées à des fins particulières devraient-elles enraciner leur structure de base dans des homologies qui n’expriment pas une fonction commune ? L’appellation d’un principe ou d’un autre en tant que fondement causal de la biologie définit pratiquement la position de n’importe quel scientifique par rapport au monde organique et aux causes de l’ordre qui y règne. . . Devrions-nous considérer le plan taxonomique de haut niveau comme premier, avec l’adaptation locale vue comme des froissements mineurs sur une majesté abstraite ? Ou est-ce les adaptations locales qui construisent l’ensemble du système du bas vers le haut? Cette dichotomie donnait le ton au grand débat de la biologie pré-darwinienne. —Stephen J. Gould[2] Si nous sommes obligés (de par certains aspects d’une structure universelle, d’une nécessité psychique, ou simplement de par les normes de la culture occidentale) de mettre de l’ordre dans notre monde par des dichotomies, nous pouvons au moins choisir quelques grandes divisions qui apportent clarté sur nos sujets ainsi qu’approfondissements en nous-mêmes. Les dichotomies stériles sont établies en tant que points de débat afin qu’un côté (généralement inventé) soit ridiculisé, et que l’autre (le nôtre), apparaisse indéniablement juste et équitable. Les grandes dichotomies [entre la conception structuraliste et fonctionnaliste de la vie] présentent des alternatives ayant de fortes dynamiques intellectuelles et jouissant d’un fort soutien empirique. Aucun des deux groupes n’a raison, les deux sont infailliblement intéressants …. —Stephen J. Gould[3] RESUME De nombreux biologistes pré-darwiniens appartenant à la tradition dite ”formaliste” (ou structuraliste) considéraient les homologies invariantes sous-tendant la diversité adaptative de la vie comme étant des caractéristiques immanentes de la nature, c’est à dire des types naturels – analogues aux atomes ou aux cristaux – qu’Owen appelait des « Motifs Premiers » (“Primal Patterns’ ”). La vue formaliste du monde d’avant 1859 de la biologie et la notion d’une biologie basée sur des lois ne reposaient pas, comme les darwinistes l’affirment souvent, sur ??une croyance philosophique a priori en une substance primordiale ou sur des concepts platoniciens, mais plutôt sur ??l’observation empirique qu’une partie importante de la complexité biologique – y compris les homologies qui définissent les taxons du système naturel – semble être de nature non-adaptative, dotée d’un caractère parfois frappant en terme numérique et géométrique qui est difficile à expliquer en termes fonctionnalistes. Non seulement ces homologies, entre des êtres parfois très différents, sont apparemment non-adaptatives, mais encore plus significatif, elles présentent une robustesse et une stabilité extraordinaires, dans de nombreux cas invariantes dans diverses lignées durant des millions d’années tandis que les adaptations construites sur elles présentent d’énormes variations. C’est cette persistance des caractères définissant les taxons qui rend la classification biologique possible et qui permet la construction d’arbres phylogénétiques. Darwin admit que ces homologies sont non-adaptatives dans les organismes existant actuellement, mais son explication comme quoi elles auraient été adaptatives autrefois sous leurs formes ancestrales n’a jamais été validée. Au cours des dernières décennies, un certain nombre de développements en science fondamentale a fourni un nouveau soutien pour la position structuraliste. Tout d’abord il y a la découverte que les lois de la nature semblent être affinées pour la vie telle qu’elle existe sur la terre – une découverte qui est compatible avec la conception structuraliste de la vie comme étant une caractéristique immanente de la nature. Deuxièmement, il y a les progrès liés à la révolution en biologie moléculaire au milieu du 20ème siècle qui ont révélé qu’au niveau moléculaire et cellulaire, une quantité considérable de la complexité biologique est clairement déterminée, non pas petit-bout par petit-bout par la sélection naturelle, mais par la loi naturelle, et plus particulièrement par les lois de la chimie et de la physique qui régissent toute structure macromoléculaire. Les protéines se reploient, différentes formes membranaires et même la forme de la double hélice sont des formes naturelles dont les propriétés et les belles géométries surviennent, comme pour les atomes et les cristaux, à partir des propriétés immuables d’auto-organisation de la matière. Troisièmement, il y a le fait remarquable que, malgré l’augmentation récente de notre connaissance de la génétique du développement d’un grand nombre de ces “motifs premiers”, y compris des exemples aussi divers que les membres antérieurs et postérieurs des vertébrés (Owen), les fleurs des angiospermes (Goethe) et le plan de base de l’aile du papillon, le défi reste ; ni l’origine, ni la persévérance, ni la nature fondamentale de ces plans de base, n’ont été expliquées ni même ont bénéficiées d’explications fonctionnalistes. Dans les mots de Günter Wagner, une autorité de premier plan dans le domaine de la biologie du développement :”il n’y a toujours pas d’explication pour la stabilité des types de développement … [donner une explication est] … le problème théorique le plus urgent dans l’unification du développement et de l’évolution.”[Souligné par moi]. |
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